2) Les Théories De L’héritage

a) Un Contexte Nouveau

Alors que la frontière linéaire, comme mode de circonscription des systèmes politiques, a désormais atteint une diffusion universelle, celui de l’assimilation des espaces intra-étatiques - même s’il peut apparaître inéluctable et irréversible - est loin d’être achevé.

Dès lors qu’on postule - selon une conception peut-être très européenne d’une dynamique de la frontière - l’unité des territoires en deçà de la limite politique, se pose implicitement le problème de la ligne en soit, de son choix : ‘“ ’ ‘Que faut-il donc pour donner de’ ‘ l’efficacité, ’ ‘c’est à dire de’ ‘ la solidité à une frontière ? ”’ 39.

La formulation peut paraître surprenante, alors qu’on est a priori dans un système-monde achevé, dont l’ordonnancement est de facto garanti par l’ONU, “ non négociable ”40. Pourtant, la question s’est posée dans le passé ; elle se pose de nouveau, d’abord au sein des anciens empires coloniaux, où par la force ou la négociation les frontières issues de la colonisation sont de plus en plus fréquemment remises en cause, mais aussi ici même où le concept d’Etat-nation, de frontière linéaire est né, en Europe. Là comme ailleurs, l’année 1989 paraît marquer l’amorce d’une bifurcation majeure de l’histoire du XXème siècle, non pas tant par ce qui disparaît, mais par ce qui émerge : une vingtaine d’Etats nouveaux, dont les enveloppes sont les limites administratives de niveau 1 des systèmes politiques abolis, élevées au rang de frontières internationales.

C’est de fait une nouvelle “ décolonisation ” qui s’opère, parfois pacifique, plus généralement belliqueuse, qui remet implicitement en cause les frontières antérieures, inter-étatiques et intra-étatiques même si, en théorie, la Convention de Vienne sur la succession d’Etats en matières des traités, datée du 22 août 1978, garantit les premières, sauf en cas de traités conclus sous la violence41. Mais cette dernière clause est suffisamment imprécise dans sa formulation pour laisser toute latitude d’interprétation à des gouvernements mécontents des traités signés par les dirigeants précédants, surtout dans le cas d’un changement de régime marqué.

Notes
39.

Jean Gottman, La politique des Etats et leur géographie, Paris, Armand Colin, 1952, p. 130. Cela nous renvoie à une autre notion, celle de frontière "correcte" (die echte Grenze) que développa F. Ratzel, voir Jacques Ancel, “ Geopolitik et géographie politique ”, Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande, N. 58, 1932, pp. 672-691, p. 675.

40.

Dans son article 2 paragraphe 4, la Charte des Nations Unies prohibe tout recours à la force en vue de porter atteinte à l'intégrité territoriale d'un Etat et, partant, de ses frontières.

41.

Par contre les secondes ne sont garanties par aucun accord international, encore moins pourrait-on dire des frontières d'Etats fédérés, en observant le “ cas ” yougoslave.