La démarcation (ou l’abornement), acte final du processus, qui matérialise le tracé retenu de la frontière, peut prendre des formes très diverses : bornes ou séries de bornes, palissades de bambou ou rideaux de roseaux, quand il n’est pas question de fortifications ; signaux visibles (telle la ligne jaune sur le “ pont de l’amitié ” de Kodari) et parfois scellés par des inscriptions : du “ Limit of India ” britannique aux abords de la Khyber pass au “ Confine dello Stato ” italien à la sortie de Gorizia.
Mais elle n’est pas toujours réalisée, parfois en raison de son coût économique accru par un environnement physique défavorable (haute altitude, zone aride,...), ou quand le peuplement est diffus ou l’activité économique faible61. Un troisième argument est l’absence de protagoniste, dans le cas d’une fixation unilatérale : les Britanniques ne démarquèrent pas la frontière nord du Raj parce que la ‘“ nature itself had done the job ”’, bien qu’Elias ait assuré en 1878 qu’elle pouvait l’être ‘“ in one season without expense ”’ si se dessinait ‘“ a tendency to encroach ”’ 62.
Ces arguments, valables dans des configurations politiques et à des époques données, peuvent ne plus l’être dans d’autres contextes : de toute leur longue enveloppe frontalière en Himalaya les Britanniques ne démarquèrent (difficilement comme on le verra plus loin) que le court segment à la hauteur du Sikkim, parce que la frontière n’était qu’à quelques centaines de kilomètres de Calcutta ; au contraire, les Chinois n’hésitèrent pas à démarquer toutes les frontières qu’ils ont négocié (Pakistan, Népal, ...) comme leurs lignes de front (Aksai Chin) malgré les altitudes extrêmes. En fait entre ces deux exemples transparaissent deux volontés différentes de marquer les territoires, deux pratiques initiées par des systèmes politiques différents inscrits dans des contextes régionaux dissemblables : d’un côté un empire peu soucieux de préciser l’étendue de son “ imperium ”, du moment que ses limites s’inscrivaient dans un système lui permettant de défendre les intérêts de l’empire, et de l’autre un Etat désireux de clairement déterminer autant les limites de sa juridiction territoriale que celles de ses voisins.
Certains auteurs considèrent le processus de construction d’une frontière comme achevé quand une quatrième étape a été franchie, celle de la mise en place d’une procédure d’entretien des bornes frontières63. En fait, cette opération technique est rarement prise en compte dans un texte spécifique et fait plus généralement l’objet d’un article du traité de démarcation, quand c’est le cas. Bien souvent, la surveillance de l’abornement est négligée64, sauf si est mise en place une commission mixte comme la International Boundary Commission, créée en 1908 par les USA et le Canada, ou la International Water and Boundary Commission entre Mexique et USA, créée en 1889, dont la tâche est de ‘“ maintenir une frontière internationale, et de déterminer la localisation de n’importe quel point de la ligne qui puisse être nécessaire dans la résolution de n’importe quel problème apparaissant entre les deux gouvernements”’ 65.
Sur ces modèles, d’autres commissions ont été créées, affectées de fonctions dépassant parfois la simple surveillance des bornes frontières : ainsi le General Border Commitee fut créé en 1978 par les gouvernements malais et thaïlandais pour lutter contre les guérillas communistes66. Mais plus généralement des Commissions nationales sont constituées, disposant de compétences élargies afin d’être les interlocuteurs privilégiés pour toutes questions relatives aux frontières67.
C'est fut le cas de la frontière entre USA et Canada à l'ouest du Lac des Bois : elle fut définie en 1818 par le traité de Londres le long du 49° parallèle, à une époque où le peuplement y était faible. Elle dut être démarquée à partir de 1872, au fur et à mesure de la mise en valeur des territoires frontaliers.
Parshotam Mehra, An agreed Frontier, Delhi, OUP, 1992, p. 4.
S.B. Jones, Boundary-making, a Handbook for Statesmen, New York, 1945.
C’est par exemple le cas de plusieurs frontières d’Afrique centrale, dont les tracés sont revisités aujourd’hui, parce que les bornes sont érodée, ou ont été supprimées depuis leur érection il y a cinquante ou cent ans.
“ to maintain an effective international boundary, and to determine the location of any point of the line which may become necessary in the settlement of any question arising between the two governments ”, Alec C. McEwen, “ The International Boundary Commission Canada-United States ”, The Canadian Surveyor, vol. 40, N°3, Autumn 1986, pp. 277-290.
C. Richard Bath, “ Malaysia’s Border Relations ”, Journal of Borderland Studies, spring 1988, pp.69-82., p. 79.
Au Nigeria, la gestion des quelques 4000 km de frontières terrestres et un peu plus de 800 km de côtes revient depuis 1987 (décret n°38 du 17/12) à la National Boundaries Commission, qui relève du niveau fédéral : le Vice-président de l'Etat en est le directeur; les ministres de la défense, de l'intérieur, des affaires étrangères, de la planification ainsi que les directeurs de la police, de la justice et des services de renseignements en sont les membres permanents. La commission ne se résume pas à un comité technique de démarcation et de maintenance; elle a vocation "to deal with matters affecting Nigerian borders with neighbouring countries, either on matters affecting political, economic or legal affairs or matters relating to development and security of border areas", au travers de l'International Boundary Technical Committee. Un second comité, le Inter-State Boundary Technical Committee, est en charge des frontières inter-républicaines du pays.