La localisation implicite de périphérie géographique est très généralement relayée par d’autres formes de périphérie, économique parfois, mais aussi politique et sociétale : les régions frontalières sont souvent les dernières à être affectées par les innovations culturelles ou technologiques, favorisant parfois l’émergence d’un sentiment d’aliénation de leurs populations vis-à-vis du reste du pays. Afin de réduire ce déséquilibre, la Communauté Economique Européenne avait instauré le concept d’Eurorégion, région transfrontalière définie par accord mutuel, dans laquelle une réglementation intermédiaire à deux Etats est appliquée, ou des facilité de gestion commune accordées : la Regio Basilensis fut créée en 1963, l’Euregio en 1970 et la Conférence du Rhin Supérieur en 197993. Dans la pratique, on observe en fait l’existence de deux configurations :
celle qui est instaurée entre deux Etats membres de l’Union Européenne (UE), où sont définies des régions transfrontalières bénéficiant d’actions spécifiques de la Communauté, avant tout parce qu’elles sont des périphéries économiques94, de ‘nouvelles “ lignes de front ”’ 95. L’association de régions appartenant à des Etats différents devrait faciliter leur développement en misant sur les complémentarités probables ;
celle qui est instaurée en périphérie de l’Union Européenne, où le dispositif de protection de la Communauté est assoupli afin de tempérer (ou de mettre à profit) le différentiel économique, comme entre Allemagne, Tchéquie et Pologne96. Un dispositif semblable fut mis en place par les USA face à la frontière mexicaine, qui a été ramené en 1965 de 240 km à 40 km de profondeur, espace dans lequel le déplacement des Mexicains possesseurs d’une carte de frontalier est libre97 : fonction de diffusion de mode de vie ou de genre politique. Dans le cas de l’Union Européenne, la situation est plus complexe depuis l’entrée en vigueur des accords de Schengen qui introduisent, outre une différenciation interne à l’Union, un renforcement de la fonction de barrière dans certains domaines, essentiellement celui de la circulation des personnes : fonction complémentaire de protection sociale (mythe de la “ forteresse Europe ”).
La frontière économique devient aussi frontière idéologique, frontière temporelle entre deux systèmes politiques, entre deux temps socioculturels98. Mais l’institutionnalisation d’un “ sas filtrant ” ou inversement d’une zone de diffusion extra-territoriale ou de compétences partagées entre systèmes politiques voisins opère avant tout parce que le différentiel économique est fort entre le centre et la périphérie, ou entre Etats voisins, et qu’une volonté politique dotée de pouvoirs économiques existe pour en réduire les effets. Ailleurs, on note au contraire le durcissement des fonctions séparantes des frontières, et la mise en place de dispositifs à fonction de blocage des circulations de biens, de personnes, d’idées.
Dans ce même registre, le Conseil de l’Europe a voté la European Outline Convention on Transborder Co-operation Between Territorial Communities or Authorities n°106 de 1982.
Ce fut le cas du Zonenrandgebiet, bande de terre de 40 km de large établie par le gouvernement fédéral le long des frontières orientales de la RFA pour gérer les conséquences économiques pour ces régions de la fermeture hermétique des frontières. Voir “ Some developing and current problems of the eastern border landscape of the Federal Republic of Germany : The Bavarian example ”, Denis Rumley et Julian V. Minghi, The Geography of Border Landscapes, London, Routledge, 1991, pp. 63-85.
fascicule Coopération transfrontalière, Commission des Communautés Européennes, Direction Générale des Politiques régionales, 1993. A cette date 22 opérations intra-communautaires étaient engagées.
En tout sept Eurorégions, voir Michel Foucher (dir.), Fragments d'Europe, Paris, Fayard, 1993, p. 311.
Une "white card” pour ceux qui sont autorisés à pénétrer en territoire US et une "green card" pour ceux qui sont autorisés à y travailler; Adejuyigbe, “ Identification and Characteristics of Borderlands in Africa ”, Borderlands in Africa, p. 29.
Selon l’expression de Michel Foucher, op. cit., p.34. Nous en observerons un autre exemple plus loin, dans la stratégie de développement de l’ouest chinois, que le gouvernement de Beijing entend réussir par une politique de frontière ouverte permettant la diffusion des compétences économiques ex-soviétiques dans le Xinjiang.