3) La Marche, Ou La Gestion D’une Certaine Situation Aux Frontières

Pratique spécifique de gestion d’une interaction de type impérial, la marche serait irrémédiablement vouée à disparaître au profit de la frontière linéaire136, implicitement frontière nationale, qui est devenue une “ structure-type ”137. Mais si la disparition d’un mode historique de bornage du territoire est patente, les pratiques territoriales induites subsistent, parce qu’elles sont inscrites dans la durée et ont modelé les territoires “ aux frontières ”, d’autant plus sûrement que les périphéries sont celles d’Etats récents, encore en construction des points de vue identitaire et économique, ayant à gérer un “ outre-frontière ” qui peut devenir une source de conflit ou de litige. Dans le cas de tensions inter-étatiques, un mode spécifique et temporaire de gestion du territoire et des populations à proximité de la frontière peut être mis en place ou préservé, qui est marqué par l’introduction de statuts territoriaux spéciaux, voire de la limitation des droits civils des individus138.

En Inde, la marche - traduction que nous proposons pour le terme de border - recouvre un concept avant tout opératoire définissant un espace où une action spécifique des forces armées est conduite, qui relève de la protection des frontières. Elle parait être un dispositif temporaire, mais récurrent, qui relève d’abord d'un constat, celui d’une situation à la frontière où se conjuguent une ligne conflictuelle et une situation locale politiquement et socio-économiquement déstabilisée, qui peut de plus être sous-tendue par une activité “ terroriste ” : au Pendjab, ‘“ the border [...] is almost turning into a frontier ”’ 139.

Elle est perçue comme ‘“ La zone à proximité de la ligne frontière, d’une profondeur variable. Elle peut coïncider avec la frontière ou avoir une profondeur de 20 km ou plus ”’ 140, où la défense est assurée, principalement en temps de paix par les ‘“ forces paramilitaires appropriées comme la BSF ’ ‘[Border Security Force]’ ‘, la ITBP ’ ‘[Indo-Tibetan Border Police]’ ‘ etc. ”’ 141. Pour certains militaires indiens, le modèle idéal de marche aurait une profondeur de 150 km, où seraient différenciés un théâtre d’opération, une ligne de contrôle et des bases arrières142 en temps de guerre, ou une zone démilitarisée, une zone à armement et personnel limités, et une zone arrière de stationnement143 en temps de paix.

Outre la sécurité de la frontière, la “ border security force ” a pour mission d’assurer la sécurité des habitants de la marche, de mener une “ limited civic action ”144; l’objectif étant de fournir un ‘“ moral and healthy climate in the border-belt ”’ , qui peut passer, comme au Rajasthan et au Gujarat, par la mise en place d’un ‘“ Border Development Adivsory Board ”’ 145, soit de renforcer, avec les objectifs et les moyens spécifiques d’une force paramilitaire, l’action policière (mais dans le pays toutes deux relèvent du ministère de l’intérieur).

Notes
136.

P.J. Taylor, op. cit., p. 105, affirme, peut être un peu imprudemment, que “ The frontier ended with the closing of the world-system at the beginning of the century. We now live in a world with one system so that there are no longer any frontier - they are now phenomena of history ”.

137.

Raymond Aron, Paix et guerre entre les nations, Paris, Calman Lévy.

138.

Mais les pratiques de la guerre froide ont familiarisé les européens avec une vision très particulière d'une frontière hermétique - le rideau de fer - qui à l'Ouest n'avait pas de profondeur territoriale, si ce n’est celle,.plus discrète, du dispositif de défense de l’OTAN.

139.

K. R. Singh, “ Changing Concept on National Security ”, Ibid, p. 15.

140.

“ the area adjoining the boundary line, with a variable depth. It may coincide with the boundary or it might have a depht even up to 20 km or more. ”, K.R. Singh, “ Border Management Issues and Strategic Planning ”, DVLN Ramakrishna Rao & R.C. Sharma, India’s Borders, Ecology and Security Perspectives, Delhi, Scholars’Publishing Forum, 1991, p. 168.

141.

“ appropriate paramilitary forces like the BSF [Border Security Force], the ITBP etc ”, D.K Arya & R.C. Sharma, Management Issues and Operational Planning of India ’s Borders, New Delhi, Scholars’ Publishing Forum, 1991, p. 13.

142.

Gautam Sen, “ Concepts and Issues of National Security ”, D.K Arya & R.C. Sharma, Management Issues and Operational Planning of India ’s Borders, New Delhi, Scholars’ Publishing Forum, 1991, p. 32.

143.

D.K. Arya, “ Aspect of Boundary Control ”, DVLN Ramakrishna Rao & R.C. Sharma, India’s Borders, Ecology and Security Perspectives, Delhi, Scholars’ Publishing Forum, 1991, p. 156.

144.

Elle constitue un ntraînement nécessaire puisque la formation pourrait en outre se voir confier des tâches administratives en cas de conflit, afin de laisser à l’armée sa capacité intacte pour poursuivre son offensive, Surindur Singh, “ Thoughts on Border Security and Allied Issues ”, D.K Arya & R.C. Sharma, Management Issues and Operational Planning of India ’s Borders, New Delhi, Scholars’ Publishing Forum, 1991, p. 93.

145.

Doté en 1988 pour le Rajastan d’un fonds de 25 crores roupies, F.T.R. Colaso, “ Border Security : Towards Affective Border Management ”, D.K Arya & R.C. Sharma, Management Issues and Operational Planning of India ’s Borders, New Delhi, Scholars’ Publishing Forum, 1991, p. 136.