1) Les Himalayas : Questions De Limites

a) Le Rebord Sud Des Hautes Terres Tibétaines

Le ou les Himalaya(s)? Nulle règle ne paraît s'être imposée, mais le singulier - sans doute influencé en cela par le religieux,151 - est privilégié quand sont évoqués le milieu (postulant implicitement son unité), la structure du massif ou l'étagement altitudinal des végétations et des modes de vie : l'Himalaya comme système est objet d'études. Par contre, dès qu'on prend en compte la diversité des faits sociaux ou politiques observables dans le massif, le pluriel est préféré parce qu’exprimant mieux la diversité des modes d'occupation de l'espace, celle des formes et degrés de développement, ou les phénomènes politiques152.

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Figure 2 : Limites des Himalayas.

Par convention, l’Himalaya est présenté comme une chaîne de montagne s’étendant du N-N-O en direction de l’E, puis du S-E sur plus de 2 500 km, entre les gorges de l’Indus au droit du Nanga Parbat et celle du Tsangpo au droit du Namche Barwa, entre 74°50’E et 95°40’E, entre Inde et Chine (Tibet)153. Cette définition est aussi celle des géographes chinois qui considèrent ces deux sommets comme constituant les limites ouest et est du massif himalayen154. Une seconde définition, qui associe aux critères morphologiques des données hydrographiques, intègre dans un “ système himalayen ” la totalité de son bassin-versant, soit les cours supérieurs et médians de l’Indus et du Brahmapoutre, ainsi que leurs affluents, associant en outre à la chaîne himalayenne stricto sensu celle de l’Hindou Kouch, du Karakoram et les chaînes indo-birmanes155.

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Figure 3 : Deux visions maximales des Himalayas.
[Note: Sources : extrait de la base de données ICIMOD, représentant les espaces pris en compte dans la zone Himalaya-Hindou Kouch ; IVES & MESSERLI, The Himalayan Dilemma, 1989.]

C’est une définition intermédiaire qui est actuellement la plus évoquée par les géographes indiens, ‘“ de 72°30’E à 97°30’E ”’ 156, mais elle est fortement marquée par des critères politiques, puisque les limites ainsi définies coïncident avec les extrémités occidentale et orientale de la frontière sino-indienne, telle que l’Inde la revendique157. Il semble y avoir confusion implicite entre la chaîne et le massif, entre cette succession de hautes crêtes qui abrite les 30 sommets de plus de 8 000 m de la planète, et l’ensemble de reliefs dont le Grand Himalaya constitue l’épine dorsale.

Au sud, la limite entre les Plaines Septentrionales et le massif est fixée par convention au Teraï, dont les dépôts détritiques (notamment les plus grossiers, ceux du Bharbar) marquent la limite avec les plaines alluviales de l’Indus, du Gange et du Brahmapoutre. La limite septentrionale varie par contre selon les auteurs et une approche classique intègre dans le massif himalayen les chaînes bordant au sud l’ensemble tibétain, au-delà de la zone de suture Indus-Tsangpo158, qui correspond à quelques exceptions près aux limites septentrionales du bassin-versant indien de l’ensemble tibétain. Toutefois, si cette définition géomorphologique est communément admise, d’autres limites sont évoquées quand sont mises en avant des données administratives ou humaines, faisant coïncider l’espace en question avec les frontières nationales et ne prenant plus en compte que les pentes sud du grand Himalaya, ou les territoires au sud des lignes des plus hautes crêtes159. L’espace visible est approprié comme espace national160, intégrant parfois les “ enclaves étrangères ” du Népal et du Bhoutan161.

Les Himalayas apparaissent globalement comme un vaste rempart bordant les plaines indo-gangétique et du Brahmapoutre au nord-ouest, nord et nord-est de l’Inde, depuis la région de Punch (Cachemire) à l’ouest jusqu’à la vallée de la Lohit (Arunachal Pradesh) à l’est, que la tradition hindoue a nommé Himavanta, et que les Puranas classent comme Varsaparvata et Maryadaparvata, comme des montagnes-frontière162.

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Figure 5 : Les marches indo-tibétaines : une représentation géomorphologique.
[Note: Source : B. FRANCOU, Hautes montagnes, passions d’exploration, Paris, Masson, 1993.]

Notes
151.

Et peut être aussi le contexte spécifique du démarrage de la recherche en Himalaya, qui n’eut accès, dans un premier temps, qu’au terrain de l’Himalaya du Népal, favorisant la production d’un “ modèle ” himalayen.

152.

La question ne se pose guère dans les ouvrages ou colloques qui imposent d’emblée le pluriel dans leurs intitulés. Ce fut entre autres, le choix du thème du colloque organisé il y a 10 ans à l'instigation du centre d'études himalayennes de l'université du Bengale du nord : Modernization and Adaptation in the Himalayas, ou celui organisé il y a six ans par l’université Jawaharlal Nehru : Society and Culture in the Himalayas.

153.

Selon J. D. Ives et B. Messerli, The Himalayan Dilemma, London, Routledge, 1989, p. 16.

154.

Ren Mei’e (dir.), op. cit., p. 452. Les mêmes limites sont retenues par les géographes népalais, voir Ram Kumar Panday, The Himalayan Heights, Kathmandu, Ratna Pustar Bhandar, 1995, 440p., p. 17.

155.

C’est une définition de travail, celle de l'espace pris en compte par l'ICIMOD, et que Ives et Messerli (op. cit., p. 21) définissent comme “ south-central Asian mountains-plateau-plains system ”.

156.

C. D. Deshpande, India, A regional interpretation, New Delhi, Northern Book Centre, 1992, p. 13.

157.

Cette définition ne s’applique que lorsqu’on s’intéresse au massif; la chaîne demeure dans des limites plus classiques, Law (B.C.) (éd.), Mountains and Rivers of India, Calcutta, National Committee for Geography, 1968, pp. 38-39.

158.

Bernard Francou, Hautes montagnes, passions d'exploration, Paris, Masson, 1993, p. 34.

159.

Ainsi Saroj K. Pal, dans une géographie régionale de l’Himalaya, intègre dans l’espace himalayen la chaîne du Ladakh dans la région de l’Himalaya du Cachemire, mais l’exclue dans l’Himalaya du Pendjab, Saroj K. Pal, “ Terrain Determinism and Mobility of Himalayan Settlements ”, Anindya Pal (ed.), The Himalaya Environment, Economy and Society, Delhi, Vikas Pub., 1995, pp. 34-35.

160.

Curieusement, les limites ainsi définies excluent alors la limite occidentale de l’Himalaya, puisque le Nanga Parbat est en territoire pakistanais, à 30 km de la ligne de contrôle effectif.

161.

Si le Népal est cité comme pays étranger quand il est traité dans les géographies régionales, le Sikkim (avant 1975) et le Bhoutan sont souvent traités sans que ne soit fait éat de leur souveraineté.

162.

B. C. Law, “ Mountains of India as in Ancient Literature ”, B.C. Law (éd.) Mountains and Rivers of India, Calcutta, National Committee for Geography, 1968, p. 5.