Depuis la plaine indo-gangétique jusqu’aux auges du Tsangpo172 et de l’Indus, l’Himalaya s’élève en une succession de chaînes globalement monoclinales légèrement cintrées, d’orientation générale sud-est/nord-ouest. Il est constitué - exception faite des Siwaliks - d’un “ empilage ” de plaques épaisses aux faciès variés (du Précambrien jusqu’au Crétacé173) qui forme un vaste relief monoclinal couronné par l’épaisse “ semelle ” granito-gneissique du Grand Himalaya. L’érosion différentielle a isolé les faciès en une succession étagée de chaînes parallèles.
d’altitude modeste (600 m environ, mais peut atteindre localement 2 000 m) la chaîne mio-pliocène des Siwaliks court en une ligne pratiquement ininterrompue de l’Assam au Balouchistan où elle se subdivise en rejoignant les chaînes de la Salt Range et du Hazarat ; percée de loin en loin par des “ portes ” d’où s’échappent les rivières himalayennes. La chaîne est séparée localement des massifs plus septentrionaux par un ensemble de vallées structurales : les dun dans l’ouest, doars (duars) au Népal, mari au Sikkim et khonch (koch, cooch) à l’extrême est, aux sols de remblaiement grossier, mais à l’eau superficielle surabondante ;
au nord de la Main Boundary Fault (MBF) le Moyen Himalaya, composé de matériaux durs, métamorphiques, est un système de croupes assez lourdes dont l’altitude varie entre 2 000 m et 3 000 m : le Pir Panjal porte plusieurs sommets à plus de 4 000 m, mais l’altitude se réduit rapidement vers l’est puisque la chaîne du Mahabharat ne dépasse plus cette altitude jusqu’au Dihong. Cette ligne de crête ne s’individualise pas toujours des étages supérieurs du Moyen Himalaya que l’érosion a découpé en une suite de chaînons plus ou moins parallèles ; ensemble complexe où sont apparues plusieurs “ alvéoles ”, profitant de faiblesses tectoniques ou structurales locales : Katmandou, Pokhara, Srinagar ;
le Grand Himalaya qui lui succède au nord de la Main Central Thrust (MCT) est nettement plus disséqué, notamment dans son étage sommital. C’est à l’ouest qu’il est le moins massif, portant une série de pics isolés (Nanga Parbat : 8 126 m) et de chaînes parallèles. Il ne prend la forme d’une formidable herse de pics géants (6 600 m à 8 800 m) qu’à partir du Garwhal, et ce jusqu’au Kanchenjunga (8 598 m), entaillé de loin en loin par de profondes gorges qui individualisent d’autant mieux les sommets. A l’est du Kanchenjunga, l’altitude s’abaisse lentement pour ne plus dépasser que rarement les 7000 m : le Kangdu est à 7118 m ;
au nord du Grand Himalaya on aborde le domaine du Transhimalaya, qui se comprend jusqu’aux auges du Tsangpo et de l’Indus174. Il est peu individualisé sur tout l’est de la chaîne et ne constitue que le versant nord du Grand Himalaya, formé de hautes vallées dominées par des chaînes isolées, d’orientation et de contours irréguliers. Il prend une extension considérable à l’ouest de la Sutlej, s’étendant des hautes terres du Changtang au noeud orographique de l’Hindou Kouch, du Grand Himalaya et du Karakoram. La structure n’est plus zonale, mais lenticulaire175 où tectonique et érosion s’associent pour composer de puissants sommets que portent les chaînes du Zanskar et du Ladakh et qui dominent de profondes vallées (Hunza, Indus).
Situé à la latitude des déserts tropicaux (26°N-36°N) de l’hémisphère nord, les Himalayas sont, ainsi que dans une moindre mesure le rebord oriental du Tibet (où naissent le Hoang ho, Changjiang, Salouen, Mékong, pour ne citer que les fleuves les plus importants), le lieu des précipitations parmi les plus fortes du monde, issues d’influences climatiques croisées :
le versant sud est sous l’influence de la mousson qui, puissante à l’est, s’amortit vers l’ouest et l’intérieur de la chaîne. Les hauts bassins ont une pente d’écoulement faible qu’explique une hydrométrie limitée : les apports pluviaux de ces latitudes tropicales proviennent avant tout du flux de mousson (en moyenne 80% du total des précipitations) mais sont pratiquement annihilés par les Pamirs et les Himalayas. En fait, le front de mousson ne produit pas une égale répartition des précipitations aux différentes altitudes : la mousson est un flux relativement peu épais sur le nord de l’Inde et le gros de l’air chaud et humide ne dépasse par les 5 000 m, qui a de plus déposé la plus grande partie de son humidité sur les premiers reliefs176.
une seconde influence est fournie par les perturbations d’origine méditerranéenne qui, venues d’ouest par-dessus l’Hindou Kouch, introduisent dans l’ouest du massif un régime pluviométrique fournissant des précipitations pluvieuses et neigeuses en hiver et au printemps.
Cette zonation est parfois tranchée mais elle est le plus souvent progressive et permet de distinguer une zone de bordure humide, une zone interne à tendance sèche et une zone transhimalayenne aride qui se compliquent par l’existence d’une multitude d’ensembles bioclimatiques en position topographique d’isolats, notamment dans les vallées d’altitude. Ainsi le Zanskar est partiellement protégé des dépressions venues d’ouest par le haut massif du Nun kun et accuse un déficit pluviométrique par rapport au Ladakh occidental177. Au bas-pays (jusque vers 2 000-2 500 m) où règne un climat très proche du climat tropical (caractérisé surtout par l’absence ou la faiblesse de la saison froide), s’oppose un haut-pays où, après une forêt mixte (4 000 m à l’ouest, 4 700 m à l’est)178, règne la steppe alpine qui laisse ensuite la place aux neiges permanentes (4 600 m à l’ouest, 4 800 m à l’est). Si on exclut le phénomène spasmodique et aléatoire de débordement du front de mousson (très marqué à l’été 1987), les précipitations au nord du Grand Himalaya sont faibles et n’autorisent qu’une maigre végétation de steppe alpine très proche de celle du Tibet.
Le Tsangpo (ou Yarultsangpo en aval de Shigatsé), le Dihong (localement, le Siang) et le Brahmapoutre désignent le cours supérieur (tibétain), médian (himalayen) et inférieur (indien) du même fleuve.
Jacques Dupuis, L'Himalaya, Paris, PUF, 1982, p. 15.
C'est semble-t-il Sven Hedin (Le Tibet dévoilé, Paris, 1910) qui a popularisé cette notion de Transhimalaya pour désigner cet “ outre-Himalaya ” qui à l'ouest n'était pas le Tibet. Le terme désigne aujourd'hui les terrains au nord de la Main Central Thrust, voir B. Francou, Hautes montagnes, passion d'exploration, Paris, Masson, 1993, p. 34 et figure 5.
Pierre Birot, Les régions naturelles du globe, Paris, 1970, p. 253.
Bernard Francou, Hautes montagnes, passions d'exploration, Paris, Masson, 1993, p. 76.
Michel Neyroud, “ Organisation de l'espace, isolement et changement dans le domaine transhimalayen : le Zanskar ”, L'Espace Géographique, n°4, 1985, p. 276.
Pierre Birot, Les régions naturelles du globe, Paris, 1970, p. 254.