Facteur limitant pour l’homme, l’altitude individualise deux types de peuplement dans les Himalayas, de part et d’autre d’une zone boisée (d’altitude moyenne de 3 000 m), qui est appréhendée comme une barrière entre deux sociétés : trop haute pour l’une et trop basse pour l’autre. C’est la frontière Ya shing/Mon shing 204 qui différencie au Bhoutan les forêts de pin des forêts de bambou, participant chacune à un mode particulier d’utilisation de l’espace :
la basse et la moyenne montagnes sont occupées par des sociétés dont l’organisation est dérivée de celle de la plaine. Qu’elles soient animistes, hindoues ou musulmanes, les populations de cette étroite bande de relief sont composées en majeure partie de réfugiés qui ont fui les diverses invasions qu’a connues la plaine indo-gangétique. Les marches sino-tibétaines ont une plus grande profondeur que les marches indo-tibétaines : 400 km de vallées encaissées et d’interfluves pseudo-plans séparent Chengdu des hautes terres du Tibet. Dans les deux cas la rizière prédomine, en terrasses, ainsi que son complément animal indispensable le buffle. Mais aux Varnas du monde indien (et à leur survivance partielle dans les régions musulmanes) s’oppose l’organisation clanique des marches sino-tibétaines, au peuplement ethnique encore très hétérogène.
au-dessus de 3 000 m, la haute montagne est le domaine exclusif d’hommes de langue et de culture tibétaines, introduites sur le versant cishimalayen lors de migrations (poids démographique trop élevé pour une terre ingrate ?) ou de conquêtes militaires. Les plus importantes prennent place à l’époque de l’empire Tou Fan (ancien nom chinois du Tibet), lorsqu’aux VIIè-VIIIè siècles les tibétains conquièrent un immense territoire ‘“ allant du Kansu au Bengale, de Gilgit et de Khotan à Yunnan ”’ 205. L’agriculture n’est possible qu’en oasis irriguées sur les remblaiements alluviaux des fonds de vallée et des torrents collatéraux. Même les hauts versants cishimalayens directement exposés au flux de mousson demeurent attachés au monde tibétain, séparés des étages inférieurs par la barrière physiologique de l’altitude, d’autant plus efficace que son franchissement pour établissement impose aux populations une adaptation culturale et alimentaire.
Charles Bell, Tibet, Past and Present, London, Clarendon Press, 1924, p. 5.
V.A. Bogoslovsij, Essai sur l'histoire du peuple tibétain, Paris, 1972, p. 35. imposant leur culture là où aucun pouvoir politique n’existait (comme au Sikkim et au Bhoutan) et vassalisant les Etats constitués (Népal, actuel Bihar).