Vu du sud, l’Himalaya apparaît comme une formidable barrière montagneuse; c’est un haut-lieu selon la représentation qu’en ont les Indiens habitant les plaines, à 200 km de distance, en contrebas. A distance égale au nord des lignes de crête, le paysage est tout autre : c’est celui de terres de hautes altitudes du Tibet206. Si par l’altitude est introduite une différenciation bas/ haut dans le massif, contribuant au développement de sociétés distinctes, les conditions climatiques régnant de part et d’autre du massif introduisent une forte dissymétrie nord-sud.
Le bouclier de hautes terres du Tibet provoque une perturbation grandiose de la circulation atmosphérique générale en même temps que l’apparition d’un désert subtropical d’altitude ; combinaison de froid, de sécheresse et d’insolation intense. Il crée en fait les conditions de son propre climat, ‘“ en raison de son altitude moyenne supérieure à 4 000 m d’une part et de sa massivité ”’ 207. A l’échelle du globe, le Tibet apparaît à la fois comme une énorme anomalie thermique et comme un pôle de sécheresse, non sans influence sur la circulation des régions voisines208.
La région est soumise à un régime climatique dérivé : la “ mousson du plateau ”209, qui génère en été des précipitations orageuses sur le Tibet, responsables pour 70% des précipitations annuelles. Un schéma identique à celui qui prévaut sur le versant cishimalayen est observable, avec une chute des apports hydriques de l’est en direction de l’ouest : alors que l’extrême sud-est du Tibet présente des valeurs proches de celle de la plaine du Brahmapoutre (2 000 mm à Zayu), les valeurs ne sont plus que de 400 mm à 500 mm à Lhasa et tombe à 60 mm à Gar210. Par contre, dans les vallées de l’ouest et du sud, qui sont en position d’abri par rapport aux chaînes bordières, les apports hydriques se font pour l’essentiel en hiver et au printemps, et les bilans annuels présentent les valeurs les plus faibles de l’espace tibétain. Si l’aridité relative de ces vallées périphériques offre au regard un paysage “ lunaire ”, le versant nord de la chaîne himalayenne est le domaine asylvatique d’altitude du Transhimalaya, auxquelles succèdent les steppes continentales des hautes terres tibétaines.
Conséquence d’un régime pluviométrique faible, les rivières ont un débit limité (relativement à leur bassin-versant) à l’exception de celles qui naissent dans les chaînes englacées et bénéficient ainsi d’une alimentation nivale et glaciaire suffisante pour leur permettre un écoulement notable. Les larges vallées à faible pente (celle du Tsangpo est de l’ordre de 0,18%) ont leur fond souvent occupé par de vastes étendues d’eau parfois douce, mais le plus souvent salée (voire saumâtre) : le Pangong Tso et le Na Ko Tso (affluents de la Shyok ; séparés l’un de l’autre par un étroit seuil naturel) ont une longueur totale de près de 200 km.
Rien n'est plus représentatif de cette dissymétrie que les variations de toponymes de part et d'autre de la chaîne : ce qui est perçu au sud comme la demeure des dieux (Gosaithan) devient au nord la cime au-dessus de la crête herbeuse (Shisha Pangma).
Monique Fort et Olivier Dollfus, “ Questions de géomorphologie dans l'ouest du Kunlun et du Tibet ”, Annales de Géographie, n°566, juillet-août 1992, p. 383.
Monique Fort et Olivier Dollfus, ibid., p. 383.
Jean Tricart, “ Le milieu naturel du Tibet, d'après les publications chinoises récentes ”, Revue de Géomorphologie Dynamique, n°1-1985, p. 34.
Ren Mei'e (dir.), An outline of China's physical geography, Foreign Language Press, Beijing, 1985, p.424. Au nord de Gar des valeurs de 23mm ont été enregistrées à Tianshuihai, au coeur de l'Aksai Chin : M. Fort et O. Dollfus, op. cit., p. 384.