L’espace tibétain peut être décrit comme une mosaïque de cellules géographiques de taille variable - les “ pays ” - qui s’organisent en combinant deux sous-espaces :
L’espace transhimalayen, clé de la structuration du monde tibétain. Les bassins du haut-Indus et du Tsangpo composent l’axe majeur d’établissement et de circulation du Tibet. A l’exception des hautes terres du Ngariskorsum, ce sillon est d’altitude (relativement) modeste, puisqu’elle est rarement supérieure à 4 000 m. Les vallées, en position d’abri, permettent une vie végétative suffisante pour en faire les principales zones agricoles. L’armature urbaine, fort réduite, est structurée et hiérarchisée par des flux économiques, religieux et politiques. Aux deux extrémités de l’axe sont établis les principaux centres urbains, qui ont une fonction identique mais une puissance de rayonnement inégale :
Lhasa cumule les fonctions de capitale religieuse, politique et économique du Tibet ; c’est aussi la ville la plus peuplée (106 000 habitants)223. Ce n’est toutefois qu’une étape sur la route entre Inde et Chine par le Tibet, même si elle est la plus importante ; point de rupture de charge et principal marché de la haute Asie. Lhasa, si elle ne polarise politiquement que le Tibet, atteint grâce à la religion un tout autre rayonnement : elle est le centre décisionnel du clergé lamaïste dont la puissance temporel s’étend au-delà des lignes de crêtes de l’Himalaya, et dont le rayonnement spirituel couvre toute la haute Asie224.
A l’extrémité occidentale de l’axe transhimalayen (et autrefois à deux mois de route de la précédente) est bâtie Leh. Regroupant les mêmes fonctions que Lhasa, cette petite ville (4 000 habitants en 1971225) polarise toutefois un espace moindre, limité au Ladakh. S’y ajoute une fonction supplémentaire : Leh est le lieu de reformation des caravanes, où elles se dotent des montures adaptées au parcours qu’il leur reste à réaliser (que se soit pour continuer vers l’intérieur du Tibet ou pour descendre vers le Cachemire).
Entre ces deux villes s’étire un chapelet de centres urbains de rayonnement moindre à fonctions administrative et religieuse, construits au croisement de l’axe avec les pistes menant aux cols himalayens. A l’exception de centres comme Shigatsé qui par le cumul des fonctions de résidence du Panchen Lama et de chef lieu de la région agricole la plus riche du Tibet a atteint une taille importante (plus de 60 000 habitants)226, les autres villes ont une taille en rapport avec l’importance économique de la route dont elles sont la tête de pont. Cette organisation n’est pas statique, mais dynamique, évoluant selon des critères exogènes au milieu : quand les Britanniques prirent le contrôle de la région de Darjeeling au XIXème siècle, la route par Katmandou fut délaissée au profit de celle par la Chumbi, favorisant le développement économique des villes situées le long de cet axe.
Le sous-espace périphérique est différenciable en deux ensembles, l’un participant intimement au système transhimalayen et l’autre que des conditions morphostructurales mettent en position d’isolat. Le sous-espace intégré est celui qui, bien qu’en position géographique d’isolat, est désenclavé par une route commerciale. Il en sera ainsi de tous les “ pays ” situés sur un des parcours himalayens. Le bourg qui y est construit a un rayonnement faible : outre des fonctions administrative et religieuse, il ne sert que de relais caravanier. Certains centres himalayens se voient dotés d’une fonction supplémentaire, de lieu de reformation des caravanes. Il n’y a pas d’isolat “ absolu ” dans l’univers tibétain : tout “ pays ” himalayen, aussi isolé fut-il que le Zanskar, entretient des liens minimums avec l’extérieur. Même si la tutelle administrative fait parfois défaut, toute communauté d’altitude est associée à une gompa (monastère) qui occupe elle même une place définie dans la hiérarchie spirituelle mais aussi temporelle du bouddhisme tibétain227.
Selon le recensement de 1981. Ce nombre intègre la population “ Han ” - majoritaire - constituée par les fonctionnaires du gouvernement chinois mais pas les forces de l'Armée Populaire de Libération : se reporter au chapitre 7.
Le Monde, 9/95.
Census of India, 1971. Les recensements de 1981 et de 1991 n’ont pas été réalisés pour l’Etat de Jammu & Kashmir.
Le district de Shigatsé comptait 66 000 habitants au recensement de 1981.
Voir l'article dans lequel sont esquissées les relations gompa/ siècle : H. Singh, “ Territorial organisation of gompas in Ladakh ”, Ecologie et Ethnologie de l'Himalaya, CNRS, Paris, 1977, pp. 351-370. Sur ce thème, se reporter à Pascale Dollfus, Lieu de neige et de genévriers : organisation sociale et religieuse des communautés bouddhistes au Ladakh, Paris, Ed. Du CNRS, 1989.