c) Périphéries Himalayennes

Coincé entres les crêtes du grand Himalaya et les plus hautes chaînes du moyen Himalaya existe un chapelet de vallées hautes dont les conditions de milieu sont proches de celle du Tibet et qui abritent une population d’origine tibétaine235. C’est en premier lieu le Zanskar, qui est un ensemble de terres de haute altitude autour des bassins de réception de la Doda et de la Zanskar, entre les chaînes du Grand Himalaya et du Zanskar.

Plus à l’est, les trois pays du Lahul, Spiti et Kinnaur, coïncident avec les districts ou taluks éponymes. Ces hauts pays ont en commun une altitude minimale supérieure à 3000 m, des conditions climatiques assez sévères236, ainsi qu’un même isolement relatif par rapport aux cours inférieurs des rivières qui les traversent : le Lahul est isolé du Pangi (cours inférieur de la Chandra, qui est renommée Chenab) par un éperon issu du grand Himalaya et formant gorge, en amont de Triloknath. Le Spiti correspond au bassin-versant de la rivière du même nom, jusqu’à sa confluence avec la Sutlej qui, entre les chaînes du Zanskar et du grand Himalaya, constitue le Kinnaur.

Ces trois pays sont peu peuplés : 30 000 hab. au Lahul & Spiti, 70 000 hab. au Kinnaur, soit des densités respectives de 2 et 11237 pour une population dispersée en hameaux sur les replats à mi-pente pour laisser aux cultures les fonds de vallées.

Plus à l’est, la faible distance qui sépare les crêtes du Grand Himalaya et du Zanskar réduisent le domaine d’altitude à quelques vallées de faible extension : en Uttarkhand, le domaine bhotia se limite aux têtes de rivières des sources du Gange, d’orientation globale est-ouest, en position d’abri par rapport au flux de mousson. Les vallées est et ouest de la Dhauliganga, de la Goriganga et de la haute-Kali abrite une population bhotya estimée à 20 000 personnes qui pratique une transhumance plus systématique que dans les autres périphéries himalayennes, de juin à octobre, et hivernant le reste de l’année au sud du grand Himalaya.

Au Népal, ce domaine retrouve l’ampleur qu’il avait en Himachal Pradesh, notamment à l’ouest et au centre, occupant les cours supérieur de la Karnali et de la Kali Gandaki : le Humal, le Dolpo, le Mustang et le Manang ont en commun de présenter de hautes vallées (4 000 m en moyenne) à la végétation maigre de steppe alpine, peu peuplées (moins de 10 hab./km2), sans bourg important et pour la plupart en déprise démographique238. Le domaine se réduit à l’est et ne concerne plus que quelques vallées suspendues, peu peuplées, sauf la région de Namche Bazar, en raison du développement économique lié à la proximité de l’Everest, à l’activité de portage et de trek d’un groupe ethnique : c’est, le long de la Dudh Koshi, le pays sherpa, circonscrit par le district de Solukhumbu.

Le domaine est quasi inexistant à la hauteur du Sikkim, où il ne concerne qu’un étroit liseré de vallées hautes sauf à l’est, dans la vallée de la Chumbi, annexée par le Tibet à la fin du XVIIIè siècle. Elle se présente comme une avancée de hautes terres en direction du sud, qui bénéficie de conditions climatiques relativement clémentes autorisant plusieurs récoltes annuelles. La vallée est aujourd’hui assez densément peuplée en raison de la valeur stratégique qu’elle recouvre aux yeux de l’armée chinoise et abrite deux gros bourgs : Yadong et Phari Dzong (Pagri). Le nord du Bhoutan présente le même paysage que le Sikkim, de hautes vallées, ici butant contre les contreforts du Chomo Lhari, sauf au centre-est, où le cours de la Kuru chu présente la physionomie et les obstacles de la vallée de la Chumbi.

A l’est du Bhoutan, le domaine bhotia ne concerne plus que la région de Tawang. Le monastère et la bourgade éponymes sont situés le long du Tawang chu (affluent rive gauche de la rivière bhoutanaise du Dagme chu, qui prend le nom de Manas avant de se jeter dans le Brahmapoutre aux environs de Goalpara). La rivière et son émissaire de rive droite, le Nyamjang chu, constituent les deux axes convergeants de l’alvéole intramontagnarde de Tawang, coincée entre le Grand Himalaya que le second franchit aux alentours de la bourgade de Le et la chaîne du Sela, dont l’extrémité occidentale porte une portion de la dyade indo-bhoutanaise, quelques centaines de mètres en contrebas de leur confluence.

Mais le secteur indien de Tawang couvre un territoire plus réduit que la région transfrontalière dont il tire le nom : Tawang (rta-dbang) est l’ancien centre politique et culturel du Mon yul, qui s’étendait de Tsona dzong (mTsho-sna rDzong, Cona), capitale moderne de l’alvéole et chef lieu d’un district tibétain, jusqu’à la plaine de l’Assam. Trois unités morpho-structurales étagées, mal reliées entre elles, sont identifiables :

Le Mon yul est assimilable à un corridor, comparable par ses caractéristiques topographiques et climatiques, au Sikkim. Le pays demeure au contraire de ce dernier relativement peu accessible : il est typiquement un “ pays caché ” (sbas-yul), difficile d’accès, qui a toujours bénéficié d’une relative autonomie vis-à-vis des pouvoirs suzerains successifs, devenant pour certaines populations une terre de refuge239. Le pays est lui même morcelé en plusieurs unités mal reliées entre elles :

Notes
235.

La découverte de ces hautes terres sèches ou arides par les explorateurs britanniques au siècle dernier a favorisé la diffusion de l’image d’un Tibet aride. Mais il est vrai qu’en raison de la fermeture du territoire aux étrangers, ils n’y avaient pas directement accès.

236.

A Kyelang (Lahul) comme à Kalpa (Kinnaur) les précipitations sont fortes en hiver et au printemps et représentent entre 70% et 80% du total annuel.

237.

Le district de Kinnaur comprend des territoires de moindre altitude, au sud-est du Grand Himalaya (notamment le taluk de Niehar), qui offrent des conditions de vie moins sévères et où le peuplement est plus dense.

238.

Qui est la caractéristique démographique dominante des périphéries himalayennes.

239.

Ce fut notamment le cas au XIXè siècle, lorsque des populations fuyaient une trop lourde fiscalité au Bhoutan, Michael Aris, “ Notes on the history of the Monyul corridor ”, Tibetan studies in honour of H.E. Richardson, Proceedings of the International Seminar on Tibetan studies, Oxford, 1979, pp. 9-20.