dissymétries Physiques, Dissymétries Stratégiques

Nous sommes loin de la doxa de la frontière naturelle, du mythe de la barrière tel qu’il est perçu “ d’en bas ”. Que ce soit selon des critères physiques ou humains, on ne repère pas de ruptures franches autour des Himalayas mais plutôt des zones de contact, de transferts qui pourraient devenir des zones d’oppositions et de chocs ; elles figurent des champs d’interactions à effets structurants pour les représentations collectives et le destin des peuples en voisinage. Plus marquées, elles constituent les limites qu’on serait tenté d’appeler “ traditionnelles ” : dans les Himalayas se dessine un faisceau de limites qui toutes pourraient être mobilisées comme supports de frontières, et qui sont ainsi autant de lieux de tension possibles, à des degrés divers, si tant est qu’ils soient “ mobilisés ”.

A petite échelle, c’est dans un espace étranger que sont tracées des frontières qui constituent les enveloppes d’Etats dont l’essentiel des ressources et des populations est “ en plaine ”, ou dans les régions de moindre altitude; un espace qui s’inscrit traditionnellement “ en creux ” dans les référents sociaux, économiques et de milieu des acteurs des systèmes politiques concernés. L’interaction sino-indienne est enrichie d’une composante tibétaine qui a la particularité d’être exogène aux Etats en présence, mais qui est aussi un objet de revendication territoriale intégré aux logiques frontalières nationales.

A la transgression majeure des faits de civilisation s’ajoute la dissymétrie des conditions du milieu. Ces dissymétries physiques constituent des dissymétries stratégiques et les enjeux relatifs à l’espace frontalier ne recouvrent pas la même urgence selon les Etats. Il en est ainsi du facteur tibétain en raison de son emprise différenciée : épiphénomène d’un coté qui - exception faite du Ladakh - ne concerne qu’une succession de “ vallées suspendues ”, il constitue de l’autre une entité régionale marquante qui fut longtemps, sinon indépendante, au minimum dotée d’une large autonomie, et survit partiellement dans le cadre actuel de la Région Autonome du Tibet.

Les Himalayas constituent effectivement une marche physique et humaine au nord du sous-continent indien, un espace où se dissolvent les identités qui caractérisent la plaine indo-gangétique, mais la marche apparaît a priori comme stratégiquement peu avantageuse, si les stratèges de l’Inde ne contrôlent pas l’espace outre-himalayen : le Tibet.