La limite la plus septentrionale est celle que présentent les Indiens comme la seule frontière traditionnelle et qui est toujours dessinée sur leurs cartes à l’heure actuelle, même si le territoire qu’elle délimite échappe à leur contrôle depuis plus de trente ans273.
La ligne qui circonscrit en totalité les bassins aréiques du Lingzitang et de l’Aksai Chin suit, du Karakoram La, la chaîne du Karakash, qui sépare les eaux de la Shyok et du Yarkand Daria jusqu’au nord-ouest de Haji Langar. Après avoir franchi la rivière Karakash, elle se rattache à la ligne séparant l’Aksai Chin des tributaires du Takla Makan, le long de la ligne de crête des Kun Lun. Elle prend ensuite, au point approximatif 80°21’ est, une direction sud pour suivre un tracé incertain entre Lingzitang et Changtang (entre les lacs Amtogar et Sarigh Jilganag à l’ouest et les lacs Leightan et Tsoggor à l’est), avant de rejoindre au Lanak La la limite traditionnelle qui court, méridienne, entre les pâturages autrefois fréquentés par les ladakhi et les tibétains.
Telle qu’elle fut représentée sur les cartes britanniques, puis aujourd’hui indiennes, cette frontière apparaît en fait comme un assemblage composite de segments de dates et de statuts très variés :
la section qui s’étend au sud de Lanak la est identique au tracé de la frontière Ladakh-Tibet défini par Van Agnew. Celui-ci est parfaitement connu, s’appuyant par le traité sino-tibéto-kashmiri de 1842 : la frontière ‘“ est parfaitement définie par des piliers de pierre, qui furent érigés après la dernière expulsion des Sokpo ou hordes Mongoles, en 1687 ”’ 274. La frontière est d’autant mieux connue qu’elle est franchie par la route Leh-Lhasa et sépare les pâturages tibétains et ladakhi275.
la section septentrionale n’a jamais fait l’objet d’un traité. Le tracé, tel qu’il est revendiqué aujourd’hui, est une construction graphique qui relie les différents points où des voyageurs anglais se sont heurtés à la juridiction chinoise ou tibétaine au XIXè. Elle est représentée sur la carte de Johnson (1865), ainsi que sur celle de la Gazeetter of Kashmir (1891); elle fut reprise comme limite entre Xinjiang, Tibet et British Raj sur la carte fournie en 1893 par le diplomate chinois Hung Ta Chen au consul britannique à Kashgar lors de la première tentative britannique de démarcation de la frontière nord de l’Inde276.
Outre les plaines désolées et salines du Lingzitang et de l’Aksai Chin (dont le seul intérêt économique semble avoir été le sel) 277, cette démarcation inclut en territoire indien la haute vallée du Karakash que Johnson décrivit comme ‘“ de nombreux et vastes plateaux près de la rivière, couverts de bois et d’herbe haute ”’ 278, assez facilement accessible depuis le Changchemno. Mais l’intérêt du territoire n’est pas économique : pour l’Inde la perte de ce secteur représente celle d’une plate-forme stratégique dominant Changtang, Takla Makan et Ladakh, c’est à dire d’une porte d’entrée en Asie centrale. Vision implicitement partagée par la Chine, qui inclue ce territoire dans le Xinjiang, reprenant la section orientale (des Kuen Lun au Lanak la) de cette frontière revendiquée comme limite entre les Régions Autonomes du Tibet et du Xinjiang, à quelques ajustements près, au nord-est et au sud-est du lac de l’Aksai Chin.
Voir, entre autres, le prospectus "Maps published by Survey of India" édité par le Survey of India.
“ is well-defined by piles of stones, which were set up after the last expulsion of the Sokpo or Mongol hordes in A.D. 1687 ”, Cunningham, Ladakh, physical, statistical and historical, London, W.H. Allen, 1854. P. 261.
Frederik Drew, Jammoo and Kashmir territories, London, 1876.
Dorothy Woodman, op. cit., p. 68.
Elisée Reclus, op. cit., p. 99.
“ numerous extensive plateaux near the river, covered with wood and long grass ”, D. Woodman, op. cit., p. 68.