La section orientale de la longue frontière sino-indienne est appelée, selon qu’on privilégie les négociations de délimitation en cours entre gouvernants chinois et indiens le secteur oriental, ou la ligne McMahon, en mémoire de l’“ inventeur ” du tracé qui est aujourd’hui contesté. Elle est aussi nommée “ ligne rouge ” en référence à la couleur du trait qui la définissait sur la carte du traité de 1914, qu’on différencie de la “ ligne bleue ” portée sur la même carte et qui dessinait, elle, la frontière entre Tibet intérieur et Tibet extérieur.
La Ligne McMahon fut définie du Bhoutan au col Isu Razi, sur la ligne de partage des eaux entre Salouen et Irraouady, mais la dyade actuelle s’arrête plus à l’ouest, à la trijonction Inde/Chine/Birmanie, un peu au nord du Diphuk la. Elle est tracée dans un “ coin d’ombre ” du British Raj qui, au début du XXème siècle, était encore incomplètement cartographié par l’Indian Survey. La région n’est pourtant pas vide d’hommes ; elle est de plus parcourue par deux axes transhimalayens de première grandeur : la route Lhasa - Inde par Tawang et le Se la (un des axes majeurs entre le Tibet et l’Inde, ‘“ le plus court entre Lhasa et les possessions britanniques ”’ 282) et la route Lohit - Rima (200 km), qui assure un accès direct au Yunnan et au Sichuan à partir de l’Inde.
Courant sur 1 053 km, c’est la dyade la plus basse en altitude des frontières dessinées en Himalaya, présentant un point bas à 580 m, quand elle est sécante du Dihong, nom local du Tsangpo depuis l’aval de la bourgade de Kopu jusqu’à son entrée dans la plaine d’Assam. Les altitudes maximales sont elles aussi relativement modestes : les deux principaux sommets, le Namcha Barwa et le Kangpo Kangri sont respectivement à 7 755 m et 7 089 m d’altitude.
La remise en cause par le gouvernement chinois de cette ligne, telle qu’elle est consignée dans les documents approuvés par les représentants indien et tibétain lors de la clôture de la conférence de Simla le 3 juillet 1914, est double et s’exprime à deux échelles distinctes :
à petite échelle, le gouvernement chinois remet en cause la validité même du traité définissant la frontière que reconnaît le gouvernement indien, parce que négocié alors que la Chine était sous une domination étrangère forte, en proie de plus à la guerre civile. Le traité, dont le plénipotentiaire chinois n’avait signé que le brouillon, est perçu comme imposé, “ inégal ”. La revendication chinoise dans ce secteur porte sur une ligne plus basse en altitude, à plus de 150 km au sud de la ligne McMahon et qui fut jusqu’en 1914 la seule limite politique septentrionale du British Raj dans la région. Elle intègre en territoire chinois les espaces qui n’étaient pas formellement britanniques à la date de la conférence (mais qui n’étaient pas non plus tibétains, et encore moins chinois), soit 9 des 12 districts de l'Arunachal Pradesh, environ 83 000 km2.
c’est aussi, à grande échelle, l’expression d’un contesté sur le détail du tracé, défini à Simla par un trait épais au crayon rouge sur une carte au 1/3 800 000, soit 8 miles pour un pouce : le trait définissant seul le tracé aurait, reporté sur le terrain, une épaisseur de 6 kilomètres ! Outre l’incertitude liée à une représentation à trop petite échelle, le tracé fut dessiné à partir d’une cartographie qui était alors incomplète, voire erronée, localisant sans grande précision la forme physique retenue comme support de la frontière : la ligne de partage des eaux entre Brahmapoutre et Tsangpo. Ce n’est qu’à partir de 1910 que des relevés systématiques y furent réalisés283, mais la cartographie du secteur est restée longtemps incomplète : en 1988 la cartographie au 1/50 000 du Survey of India ne couvrait aucune portion de cette frontière, ni celle au 1/250 000284.
"the shortest between Lhasa and British dominions", Rapport du major Jenkins au Gouverneur général de la Frontière du Nord-Est, D. Woodman, Himalayan frontiers, op. cit., p. 139. C'est par ce chemin que le XIVème Dalaï Lama quitta le Tibet en 1959; ce fut aussi la route d'invasion que l'A.P.L. emprunta en 1962, dans l’autre sens.
Voir D. Woodman, op. cit., p. 153 pour la carte des relevés.
Selon Maps published by the Survey of India, July 1988. Il est vrai qu'à cette date, seule la dyade indo-pakistanaise bénéficiait d'une couverture cartographique complète. Il serait toutefois singulier que le gouvernement indien ne dispose pas d'une couverture complète de son territoire, notamment des secteurs les plus sensibles - les frontières - d'autant plus que la cartographie de l'Army Map Survey était, en 1962, exhaustive. Ce qui est encore plus étonnant est qu’en 1994 tous ces secteurs disposaient d’une couverture cartographique complète : exploit des cartographes ou décrispation des sources?