La frontière entre Bhoutan et Chine, d’une longueur approximative de 470 km, n’a jamais fait l’objet d’un traité de délimitation connu entre les deux Etats, ou leurs prédécesseurs : ‘“ Seule la frontière sud du Bhoutan a été définie par des documents publiés, ’ ‘quoique les autres frontières semblent être bien établies’ ‘ ”’ 306. Faute de documents, l’étude de la dyade repose entièrement sur l’analyse cartographique, et doit tenir compte des imprécisions engendrées par la triangulation parcellaire d’un territoire toujours mal connu. Loin des grands axes transhimalayens, elle n’a pas été non plus fait l’objet de descriptions publiées de la part de voyageurs britanniques.
Pourtant, son tracé n’est pas inconnu, puisqu’il est quotidiennement pratiqué par certains “ utilisateurs ”, qu’ils soient pasteurs nomades, commerçants, pèlerins et surtout administrateurs territoriaux307. Cette dyade s’appuie sur le même type de support que la dyade sino-népalaise, une mémoire collective et administrative, soit une frontière “ traditionnelle ” qui coïncide à moyenne échelle avec un marquage religieux fort, séparant deux tendances bouddhistes : au nord domine la secte réformée des Gelugpa tandis qu’au sud le bouddhisme officiel est celui de la secte non réformée des Kagyurpa, implantée sur ce versant de l’Himalaya par des populations fuyant la répression religieuse au nord de la chaîne.
La frontière commence à une dizaine de kilomètres au nord du Gyemo Chen - au Nangpo Chho -, sur la chaîne de Pangola qui sert de support occidental à la frontière indo-bhoutanaise. Elle coupe ensuite le cours du Khangphu chu (Torsa) à trois kilomètres au sud de Goling, bourgade qui commande l’accès oriental du Natu la, juste en amont des gorges de la Chumbi. Elle suit alors une direction sud-ouest nord-est jusqu’au Chomo Lhari (7 314 m), en longeant la chaîne du Masang Kyungdü, que franchit par le Tremo la (4 572 m) le principal axe qui relie le Bhoutan au Tibet308. Au pied du versant occidental de la chaîne s’étend la vallée de la Chumbi, par laquelle passe un des principaux axes de liaison Tibet-Inde et dont le territoire a été annexé par le Tibet sur le Sikkim à la fin du XVIIIème siècle. Les négociations frontalières sino-bhoutanaises en cours ne laissent filtrer que peu d’information sur les revendications des uns et des autres, mais il semble établi qu’un des enjeux est la position de la frontière sur cette ligne de crête : soit la préservation d’un partage d’alpages entre habitants de la Chumbi et habitants de la haute vallée du Paro chu, ou au contraire le tracé d’une frontière suivant la ligne des plus hautes crêtes et interdisant aux Bhoutanais tout regard sur la Chumbi.
La frontière court à mi-pente du Chomo Lhari, sur ses flancs sud puis est. Au nord du sommet, elle prend une direction plus ouest-est le long du Grand Himalaya, avant de le quitter pour suivre la crête d’une chaîne plus septentrionale, emprisonnant en territoire bhoutanais le cours supérieur du Komo chu et les tributaires méridionaux du Fumayou tso. La jonction des chaînes du Grand Himalaya et du Ladakh a provoqué un “ gonflement ” des très hautes terres, qui coïncide avec la proximité de sommets élevés : Kula Kangri (7 600 m) et Kankar Punsum (7 550 m) que la frontière évite en laissant le premier à l’ouest et le second à l’est, courant à mi-pente avant de séparer le cours supérieur du Lhobrak chu de son écoulement bhoutanais, le Kuru chu, à la hauteur de la bourgade de Dogsar, en amont des gorges qu’emprunte la rivière pour franchir le Grand Himalaya. C’est cette section de la frontière dont le gouvernement chinois remet en cause le tracé, le repoussant plus au sud afin d’inclure en territoire tibétain les gorges du Lhobrak chu, soit une revendication d’environ 500 km2. L’importance de la revendication peut paraître surprenante dans un secteur où les limites de fait sont parfaitement connues, même si elles ne sont pas définies par traité. Mais la revendication s’apparente à celles qu’ont fait les Chinois sur d’autres segments de dyades, comme par exemple à la hauteur de la Shaksgam, ou vis-à-vis du Népal, et qui présentent pour eux des avantages tactiques ; c’est peut être aussi un moyen de faire oublier d’autres revendications - celles là territoriales - que pourraient réactiver les Bhoutanais, qui concernent les enclaves qu’ils possédaient jusqu’en 1959, dans les environs du lac Manasarovar, et supprimées de fait par l’occupation chinoise du Tibet309.
La frontière suit plus à l’est cette même chaîne, en contrebas de la ligne de partage des eaux - englacée ici -, pour s’incurver vers le sud et suivre un chaînon d’orientation méridienne du Grand Himalaya jusqu’au tripoint Bhoutan - Chine - Inde.
"Only Bhutan's southern boundary has been defined by published documents, although the other boundaries seem to be well established", A. Lamb, Asian frontiers, op. cit., p.. La frontière orientale du Bhoutan aurait été délimitée au cours de la mission Lightfoot de 1938.
Le tracé de la frontière remonte sans doute aux accords de paix passés entre gouvernements bhoutanais et tibétains après la défaite de ces derniers en 1658.
C'est l'itinéraire que suivit Jawaharlal Nehru pour entrer au Bhoutan lors de son voyage officiel en septembre 1958.
Villages de Darchhen, Nyanri gompa, Dengmar, Rimpung, Doba au pied du Kailash ou près de Gartok, accordés au XVIIè siècle par le roi du Ladakh et administrés jusqu’en 1959 par un officier monastique bhoutanais.