b) Au Nord Du Karakoram

La première section commence au tripoint Pakistan-Afghanistan-Chine, doublement localisé dans le traité de définition de 1962 par l’altitude du sommet de référence - 5630 m - et ses coordonnées astronomiques : “ environ 74° 34’ est et 37° 3’ nord ”314. De ce point, la frontière suit une orientation ouest-est, le long de la ligne de partage des eaux entre les émissaires de la rivière Tashkurgan (Taghdumbash Pamir) et ceux de la Hunza. Ce chaînon secondaire, issu du noeud Hindou Kouch-Karakoram, porte plusieurs cols : Kilik Dawan (4 827 m), Mintaka Dawan (4 726 m), Kharchanal Dawan (4 987 m), Mutsjilga Dawan (5 855 m) ; autrefois empruntés par les pasteurs de la Hunza pour atteindre les pâturages d’été de la Taghdumbash Pamir315.

La frontière prend ensuite une orientation nord-ouest sud-est le long de la Muztagh Ata, sur la ligne de crête jusqu’au sommet 6 027m. Au long de ce tracé, la frontière coupe ce qui fut une des principaux axes du commerce transhimalayen au Khunjerab Dawan (4 733 m), réactivé aujourd’hui par la modernisation du tracé dans une opération commune sino-pakistanaise menée de 1966 (signature du protocole) à 1979 (inauguration officielle de la route).

Au droit du sommet 6 027 m, la frontière prend une orientation ouest-est pour descendre en altitude le long de la chaîne de Tamutaikai et longer l’Oprang Jilga jusqu’à sa confluence avec la Muztagh (un point bas à 3 280m d’altitude, à la hauteur de la 13° série de bornes) qu’elle longe ensuite avant de remonter en altitude sur la crête de la Shor Bulak, jusqu’à ce que cette dernière rejoigne la chaîne du Karakoram. Ainsi définie, la frontière intègre en territoire pakistanais une portion du versant nord de la Muztagh Ata, donnant aux habitants des hautes vallées de la Hunza et de la Ghujerab des pâturages d’altitude, accessibles par le Shimshal Dawan (4 737 m).

Outre la légitimité du gouvernement pakistanais à négocier un traité de frontière impliquant un territoire qu’il revendique, le gouvernement indien remet en cause le tracé lui-même. Pour les Indiens la limite prive les habitants des hautes vallées de l’accès à la majorité des pâturages “ traditionnels ” ; pour eux, la frontière passe plus au nord que celle que le traité définit et s’appuie sur la crête de la chaîne de l’Aghil, intégrant ainsi la totalité du bassin versant de la Shaksgam.

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Figure 22 : A l'ouest de la trijonction Chine, Inde, Pakistan.
[Note: Seuls ont été représentés les tracés actuellement respectés ou revendiqués.]

De part et d’autre de la chaîne du Mustagh Ata, qui porte la frontière, la dissymétrie est forte : le district pakistanais de Gilgit offre un paysage de vallées étroites et encaissées où les rares surfaces planes sont réservées aux cultures. Au nord, dans le district autonome tadjik de Taxkurgan, la topographie est plus douce et présente un caractère plus aéré de vallées larges et de bassins dégagés dans une tectonique faillée puissante. A une altitude moyenne plus élevée, la couverture végétale est dominée par la steppe herbagée, rare ou absente au sud de la chaîne. Le versant nord devient un espace complément des vallées méridionales, avec lesquels s’est établi une pratique de transhumance trans-montagnarde qui est courante dans le massif, où est mise à profit une couverture herbagée plus fournie que dans les vallées, alimentée par des précipitations d’origine méditerranéenne : la pleine possession ou au moins un droit d’usage de ces pâturages d’altitude est indispensable à toute pratique d’élevage pour les sociétés des vallées.

La dissymétrie est aussi démographique : malgré le faible peuplement de la région, le versant pakistanais est comparativement plus peuplé, avec trois centres de plus de 3 000 hab. (Gilgit qui en compte plus de 30 000, Chilas et Skardu) et une densité moyenne de 8 hab./km2. Sur le versant chinois, Taxkurgan est le seul bourg du district éponyme, et regroupe près de 50% de la population totale ; le reste du territoire est globalement inhabité : la densité moyenne est faible, de l’ordre de 0,4 hab./km2. Un trait commun existe, pourtant, d’ordre religieux : c’est de part et d’autre de la frontière une même population convertie à l’Islam, où domine la confession ismaélienne316. Mais elle ne s’appuie pas sur une unité ethnique : au nord, les Tadjik dominent un peuplement composite de Kirghizes, de Ouighours et de Han, les deux derniers groupes surtout localisés à Taxkorgan, où ils constituent l’encadrement administratif du district. Au sud, un peuplement plus homogène de hunzakots forme la majorité de la population du Hunza, mais le long de cet axe désormais de transit qu’est la moyenne vallée de l’Indus et la Hunza, le Burushaski régresse au profit de l’Urdu, langue officielle du Pakistan dont l’usage se généralise par l’intermédiaire des fonctionnaires, de la scolarisation et des militaires du dispositif administratif mis en place depuis que les 3 subdivisions du district de Gilgit ont remplacé les Etats princiers en 1974317.

La région dispose depuis 1979 d’un axe de désenclavement moderne qui la relie d’une part au reste du Pakistan, et d’autre part à l’allié privilégié du pays jusqu’en 1992, la Chine. La Karakoram Highway est le seul lien terrestre du Pakistan avec cette dernière, même s’il est fragilisé par le milieu physique qu’il traverse : fortes précipitations nivales limitant l’usage de la route à la seule période estivale, au cours de laquelle une solifluxion intense cause de nombreuses ruptures de trafic. Mais l’ouverture de cet axe ne s’est pas accompagnée d’un développement économique marquant : aucun investissement important n’a encore été réalisé dans la région, autant par les Pakistanais que par les Chinois, comme si le statut politique incertain de ce nord montagneux agissait comme un frein au développement économique et à l’investissement de capitaux.

Notes
314.

Curieusement, la carte pakistanaise présentée comme faisant référence pour le tracé de la frontière porte une autre altitude pour la borne 1, soit 5587 m.

315.

Notons que le toponyme Mintaka (le col le plus emprunté par les Hunzakots) a le sens de "nombreux moutons".

316.

Tandis que le Hunza est majoritairement ismaélien, le Nagar (en rive gauche de la rivière Hunza) est à dominante chiite, et en aval la dominante sunnite du Pakistan réapparaît.

317.

Gilbert Etienne, Le Pakistan, don de l'Indus, P.U.F., Paris, 1989, p. 113.