Du Sia Kangri au Karakoram la, la dernière section de la dyade sino-pakistanaise, telle qu’elle est décrite dans le traité de frontière de 1963, échappe de facto, en 1998, au contrôle du gouvernement du Pakistan et conséquence de résolutions internationales prises il y a près de 50 ans.
De fait, lorsque l’ONU a tracé en 1949 la ligne de cessez-le-feu entre Inde et Pakistan, elle l’a arrêtée en amont de la bourgade de Chalunka, au Chulung la (coordonnées NJ9842320), laissant non définie la section qui la relie à la crête du Karakoram. Pour le tracé de ce segment “ absent ”, deux versions s’opposent :
selon les autorités pakistanaises, le tronçon relie le principal sommet du groupe des Chulungs (6 827 m) au Karakoram La en une ligne droite qui isole les sources de la Nubra de son écoulement indien;
la version indienne relie le même sommet au Sia Kangri en suivant la chaîne du Saltoro.
Le triangle peu hospitalier ainsi défini, d’une altitude moyenne de 5 000 m et d’une surface d’environ 2 400 km2, ne porte, outre le Karakoram la, que l’Indiracol la (5 775 m) que les Balti utilisaient parfois en remontant l’immense glacier du Siachen pour rejoindre le Shaksgam par le glacier de l’Urdok321.
C’est pourtant ce bout du monde qui est depuis 1984 l’objet d’un conflit larvé entre les deux pays ; sa souveraineté est si incertaine qu’à l’été 1986 des alpinistes occidentaux ont pu se faire délivrer des autorisations d’ascension par les deux pays pour le même itinéraire, le Gasherbrum322, en limite occidentale de la zone revendiquée. Malgré un certain silence de part et d’autre sur les objectifs associés aux opérations militaires, il est possible d’esquisser les enjeux géographiques possibles au travers de plusieurs hypothèses :
entre le Siachen pakistanais et l’Aksai Chin chinois, le Ladakh indien forme un coin dont le Karakoram La constitue la pointe septentrionale. Une opération militaire “ réduite ” permettrait la jonction territoriale entre Pakistan et Chine, ôtant à l’armée indienne l’accès au col et l’isolant définitivement des lignes de crêtes du Karakoram;
si le contrôle indien du Siachen se confirme, l’Inde évite non seulement le danger d’être cantonné dans les fonds de vallée, mais peut de plus réitérer ses revendications sur la vallée de l’Aghil, dont le traité l’avait frustré323.
Selon la logique cartographique militaire.
E. Reclus, Géographie Universelle, t.VIII, Paris, 1883, p. 101.
La Montagne, n°4-1986.
Le conflit atypique et périphérique du Siachen est traité de façon plus complète dans le chapitre huit.