seconde Partie
le Tracé Des Frontières Actuelles : Une Horogénèse Inachevée

La première partie nous a fourni des éléments de différenciation de l’espace tibéto-himalayen vis-à-vis de son environnement régional, mais aussi à l’intérieur de cette entité géographique : l’ensemble Himalayas-Tibet est en première lecture une marge physique et humaine entre deux ensembles de première grandeur caractérisés par l’espace, le nombre, et une identité culturelle dominante. Autrefois dispositif de défense du British Raj, aujourd’hui frontière pour préserver le coeur de l’Inde - la moitié de la population du pays vit à quelques centaines de kilomètres à vol d’oiseau des lignes des plus hautes crêtes -, la dyade sino-indienne est, vue du sud, une frontière incomplète, imparfaite, puisque violée en 1962, puisqu’y sont maintenus environ 20% à 40% des effectifs de l’armée indienne.

Alors que face à un ennemi identifié - l’empire russe - les Britanniques avaient su édifier une double barrière politique - l’Afghanistan - et stratégique - la ligne Durand -, face au nord, ils n’ont pas su définir de système cohérent qui ait résisté à l’épreuve du temps. L’actuel état de ces quelque 4 000 kilomètres de frontière qui limitent au nord ce qui fut l’Empire des Indes porte encore le souvenir de cette indécision : la logique d’empire qui prévalait jusqu’en 1947 serait-elle encore efficiente, même si les acteurs ont changé ?

Certains tracés sont beaucoup plus anciens, issus d’autres confrontations : la marche tibéto-himalayenne est ancienne. Les frontières que l’on a tracé ou qu’on tente d’imposer sur le massif et sa périphérie sont les conséquences d’un affrontement quasi millénaire et pourtant très actuel, entre deux mondes qui s’opposent. Les termes de l’affrontement n’ont cessé de se modifier au cours des siècles : la Chine est, directement, un élément contemporain dans ce jeu d’empires, dont on peut fixer l’origine à la fin du XVIIIè siècle, au même titre que l’Inde d’ailleurs, comprise ici comme pouvoir politique territorialisé dans “ les plaines ”. Car il s’agit bien d’étudier l’interaction sino-indienne, soit l’ensemble des lignes-frontières séparant deux grands états qui ne sont en contact que depuis peu et dont le contact, parfois direct, est ailleurs compliqué par la présence d’Etats intermédiaires.

Mais l’histoire ne vaut pas tant par sa découverte que par sa mobilisation par les différents acteurs politiques pour justifier leurs positions comme leurs revendications : il importe de comprendre pourquoi et quand, dans un conflit contemporain peuvent être mis en avant des pratiques et des écrits parfois vieux de plus d’un millénaire. Mais cette compréhension repose en premier lieu sur la représentation qu’ont les acteurs actuels de leur environnement géographique.