b) Le Pakistan, Une Anomalie Douloureuse

D’autre part l’héritage géostratégique britannique comme la vision d’un “ sous-continent Inde ” (l’Inde moderne n’a-t-elle par repris comme symbole national les “ lions d’Ashoka ”, soit une référence explicite au plus grand empire pré-britannique ?377) est depuis 1947 tronqué par la réalité politique territorialisée d’un Etat pakistanais qui l’isole de ses portes occidentales : le drame humain engendré par la Partition est aussi un drame identitaire. Le Pakistan, déchiré entre un héritage culturel qu’il est tenté de renier (une histoire commune avec la civilisation hindoue dans le monde indien) et une idée de l’Islam qui lui est en partie étrangère, n’a pas de véritable identité spatiale : le choix originel de la création d’un Pakistan est plus celui du refus d’une possible tutelle politique hindoue que l’identification à un territoire. En 1930, Muhammad Iqbal, juriste de profession, mais avant tout philosophe et poète, développa la théorie des “ deux nations ” : ‘“ J’aimerais voir le Pundjab, le Sind, le Balouchistan et la Frontière du Nord-Ouest s’unir en un seul Etat ”’ 378. Pour cet Etat un étudiant, Rahmat Ali, proposa en 1933 le nom de Pakistan, acronyme composé à partir des noms des régions à majorité musulmane : Pendjab, Afgana (Frontière du Nord-Ouest), Kashmir, Iran, Sind, Tokharistan, Afghanistan et Baloutchistan379. Il est de plus marqué par le traumatisme d’une double partition : la première, oeuvre de Mohammed Ali Jinnah (juriste du barreau de Bombay et président de la Ligue depuis 1934)380, donna naissance à un Pakistan bicéphale dans lequel les gouvernements ne surent empêcher l’émergence d’un nationalisme bengali qui provoqua une seconde partition et la naissance du Bangladesh en décembre 1971.

S’il apparaît géographiquement plus cohérent que la première construction issue de la Partition, le Pakistan demeure un pays où l’Islam, religion dominante avec 97% de fidèles, est le seul ciment de la nation (secondairement la langue, l’Urdu). Mais le pays est ‘“ comme Israël, un Etat idéologique. Otez le judaïsme d’Israël et le pays s’écroulera comme un château de cartes. Otez l’islam au Pakistan, faites-en un Etat laïc et il s’effondrera de même ”’ 381. Mais cette identité est aussi un vecteur de revendications, territoriales : c’est par sa proximité religieuse au Pakistan que le Cachemire constitue l’objet d’une revendication382 .

Notes
377.

Mais la référence à Ashoka est aussi celle au bouddhisme, comme positionnement “ neutre ” entre l’hindouisme et la laïcité.

378.

Résolution de la Ligue musulmane à Lahore, 23 mars 1940, cité par Annie Krieger-Krynicki, Le Pakistan, Paris, Le sycomore, 1982, p. 111.

379.

Michel Pochoy, Le Pakistan, l'Océan Indien et la France, Paris, FEDN, 1991, p. 24. Cette délimitation géographique n'est pas sans rappeller une des grandes époques de la domination musulmane de la région : celle de la dynastie Ghaznévide.

380.

Il semblerait que c'est en désespoir de cause, face à l'intransigeance des membres de la Ligue comme de ceux du Congrès, que Jinnah devint l'architecte de la Partition, Jean-Joseph Boillot, Annie Krieger-Krynicki, "Le Pakistan", Notes et Etudes Documentaires, Paris, La Documentation Française, n°4918-1990, p. 25.

381.

Zia ul-Haq, The Economist, 12 décembre 1981.

382.

Et c’est d’ailleurs au titre de cette identité religieuse que les “ afghans ” participent à la “ guerre par procuration ” pakistanaise au Cachemire.