b) La Frontière Coutumière (costumary Boundary)

La conception d’une “ frontière coutumière ” - définissant une souveraineté de fait -, est validée par la mise en évidence d’une pratique avérée et récurrente de l’espace jusqu’à la frontière. Critère sans conteste le plus fréquemment invoqué par les deux partis au cours des discussions sino-indiennes, la “ customary boundary ” forma aussi le référent lors des négociations des traités entre la Chine et ses voisins, entre l’Inde et ses voisins. Elle permet de plus "d'évacuer " le problème de la reconnaissance des traités conclus par les systèmes politiques antérieurs, en recadrant les négociations sur les seules pratiques administratives ou sociales .

L’usage coutumier dans la région est celui de partage d’alpages, de territoires de chasses, ou d’activités liées à l’exploitation du sol ou plus rarement du sous-sol (sel, or). L’existence de lieux de campement est certes la preuve d’une utilisation humaine de la région mais ne suffit pas à en préciser la nationalité, notamment dans le cas d’une pratique saisonnière ou épisodique. Les représentants chinois mirent en avant l’origine turque de la toponymie à l’ouest du massif, comme preuve d’un usage régulier de la région par des populations turques du Xinjiang. Les représentants indiens considérèrent cet argument comme non pertinent, et même dangereux, donnant l’exemple du toponyme Khotan (Xinjiang) qui est dérivé du sanscrit Kustana460.

C’est un autre critère qui fut surtout mis en avant lors des discussions des années 1960-1962, et qui sanctionne en somme le précédent, celui d’administration effective de la zone litigieuse. C’est ainsi que les représentants indiens, pour appuyer leurs revendications sur la bourgade de Demchok, présentèrent de nombreux documents, dont :

Le coté chinois rejeta les documents en mettant en évidence leur apparente contradiction, mais ne lui opposa qu’un document, qui faisait état de droits perçus par des autorités tibétaines de Gartok à Demchok462.

Coté indien, l’administration fut pendant plus d’un siècle un fait britannique, qui s’est exprimé au travers d’une présence politique souvent largement déléguée463, mais aussi d’une présence physique plus effective, dont les motivations allèrent de l’exploration sportive (chasse, randonnée) à l’exploration scientifique ou commerciale (cartographie, botanique, géographie). Soucieux de bien connaître les limites de leur souveraineté - ne serait-ce que pour mieux les renégocier par la suite -, les Britanniques ont légué une masse considérable d’études et de rapports de mission.

Même s’ils n’ont pas pu citer ‘“ un seul rapport officiel britannique de cette période qui prouve une ’ ‘mauvaise foi’ ‘ délibérée et un effort intéressé à modifier la limite ”’ 464, les délégués chinois rejetèrent “ en bloc ” les documents d’origine britannique présentés par les Indiens, les considérant altérées par les ambitions expansionnistes britanniques envers le Xinjiang et le Tibet465.

Notes
460.

M. Fisher & alt., op. cit., p. 117.

461.

Ibid., p. 117.

462.

Id..

463.

Voir chapitre 5 le mode de contrôle britannique sur le Cachemire.

464.

“ a single British official record of that period to prove deliberate malafides and an interested effort to change the then existing alignment ”, Report of the Officials, op. cit., p. CR-177.

465.

Ils les utilisèrent toutefois, lorsque ceux-ci leur permettaient d'appuyer leurs revendications, comme par exemple la carte illustrant l'ouvrage de Sir Charles Bell, Tibet past & present (1924), qui présentait, en contradiction avec les pratiques cartographiques britanniques de l'époque, une frontière sud-occidentale proche de la version chinoise. La divergence est d'autant plus surprenante que Charles Bell précise que la carte est adaptée d'une autre, préparée par l'Indian Survey Department.