ii- Au Nord De L’inde: Histoires De Thé Et De Laine

1) La Réduction Du Bhoutan À Un Etat Des Collines

Jusqu’à présent la Company ne s’était guère impliquée dans les territoires au-delà de 90° Est, du Cooch Bihar528. Le traité de Yandabô qui clos la première guerre indo-birmane (1824-1826) lui donna la possession de l’Assam en 1826. Dès lors voisins directs du Bhoutan, les Britanniques furent exposés aux incessantes querelles entre paysans bhoutanais et assamais pour l’utilisation saisonnière des Duars entre Tista et Dhansiri : les premiers les occupaient pendant la saison froide, les seconds le reste de l’année529. Ces duars avaient été acquis par les Bhoutanais sur les chefs musulmans de l’Assam, mais sans qu’ils ne puissent jamais contrôler totalement les territoires, préférant verser aux Assamais un tribut annuel en nature comme garantie de leur sécurité.

Les Britanniques, désormais suzerains du Cooch Bihar et de l’Assam, revendiquèrent le maintien de l’acte tributaire. Une mission de négociation, dirigée par le capitaine R. B. Pemberton, essuya un premier refus bhoutanais en 1837 : les Britanniques annexèrent en 1841 les duars de l’Assam. La poursuite des accrochages sur ces terres les amena à organiser en 1863 une nouvelle mission de négociation, sans plus de succès que la précédente, qui fut à l’origine de la guerre anglo-bhoutanaise de 1864.

En 1865 le traité de Sinchula sanctionnait la défaite bhoutanaise et l’annexion des duars du Bengale. Le Bhoutan fut ainsi amputé d’un territoire de 35 km de large et de 352 km de long530 : ‘“ Il est reconnu par la présente que l’intégrité des terres connues comme les dix-huit Duars, bordant les districts de Rungpoor, Cooch Behar et d’Assam ainsi que le Talook d’Ambaree Fallacottah et le territoire collinéen en rive gauche de la Teesta jusqu’à ces points est cédée par le gouvernement du Bhoutan au gouvernement britannique pour toujours ”’ (article II) ; en échange d’une compensation de 50 000 Roupies. Mais, ainsi que pour le Népal et le Sikkim, l’annexion des duars ‘“ supprime la principale source de revenus du gouvernement du Bhutan ”’ 531. Elle ouvrit de plus la voie, par le contrôle des passes que le pays perdit, à une immigration sauvage notamment d’origine népali532. La somme versée en compensation de cette perte territoriale devait permettre au gouvernement de continuer à exercer son autorité : ‘“ L’existence de gouvernements forts dans les Etats voisins et la prospérité de leurs sujets sont parmi les meilleures sécurités pour le maintien de la paix à nos frontières”’ 533.

La frontière fut démarquée dès 1870, semble-t-il à la demande expresse du gouvernement bhoutanais, et ne fut plus modifiée jusqu’à ce que l’Inde rétrocède en 1951 un territoire de 83 km2 autour de Dewangiri.

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Figure 29 : La montée britannique vers les cimes.
[Note: sources : atlas historiques, notamment A Historical Atlas of India.]

Dans leur “ marche vers les sommets ”, les Anglais respectèrent l’indépendance du Népal (moins semble-t-il pour son alliance avec la Chine que pour la puissance de son armée) mais n’hésitèrent pas à vassaliser le Sikkim malgré les liens que la famille régnante entretenait avec Lhasa. Le protectorat que les Britanniques établirent en 1890 leur donna les rênes de la politique intérieure et extérieure du pays ; situation que la Chine entérina en signant le traité de Calcutta (17/3/1890) , dont un article définissant la frontière entre Tibet et Sikkim, point hypersensible pour la défense de Calcutta : la frontière était plus septentrionale que la limite précédente, établie sur la ligne de partage des eaux, et incluant en territoire sikkimois plusieurs “ saillants ” transhimalayens.

Notes
528.

Mais des explorations avaient déjà été menées, notamment à Gahauti, que le capitaine Welsh décrivit en 1792 comme une “ populous and large city on both banks of the Bramaputra river with extensive commerce ”.

529.

Il n'y a, formellement, que 18 duars : 11 au Bengale et 7 en Assam. Mais le terme est aujourd'hui largement généralisé à toutes les formes du relief similaires; voir supra chapitre 2.

530.

Alaistair Lamb, op. cit., p. 139.

531.

H.K. Barpujari, Problem of the hill tribes : north-east frontier, Calcutta, 1981, p. 8.

532.

Le développement d'un processus similaire au Sikkim inquiétait le gouvernement du Bhoutan : la majorité des tensions qui ont marqué les relation anglo-bhoutanaises au XXème siècle sont liées à une immigration incontrôlée depuis l'Inde. C'est toujours le cas aujourd'hui.

533.

“ The existence of a strong government in the neighbouring State and the prosperity of their subject are among the best securities for the permanent peace of our frontier ”, Selon Ch.Wood, Secrétaire d'Etat, H.K. Barpujary, Problem of the hill tribes, Gauhati, Spectrum Pub., 1981, p. 113.