Au terme des deux guerres anglo-sikh (1845-1846 ; 1848-1849) dont l’enjeu était le Pendjab, les Britanniques annexèrent les territoires situés à l’est du “ daman e koh ” et toutes les possessions sikh, dont le Cachemire. Mais en remerciement de la neutralité observée par son dirigeant Gulab Singh, ainsi qu’à son rôle de médiateur au cours du conflit, les Britanniques reconnurent l’indépendance du royaume par le traité d’Amritsar (mars 1846). Cette indépendance n’était pas totale puisque les relations que le pays pouvait entretenir avec l’extérieur étaient soumises à l’autorité anglaise (article 5) à laquelle Gulab Singh devait verser un tribut annuel de ‘“ un cheval ; douze chèvres pashmina de race établie (...) et trois paires de châles cachemiri ”’ (article 19). Le traité, par les liens qu’il établissait, ressemble étrangement à ceux liant la Chine à ses vassaux. Il s’en distingue toutefois par le fait que les Britanniques conservaient la maîtrise des frontières du Cachemire :
pour leur définition : ‘“ la frontière orientale [...] sera définie par les commissionnaires rémunérés par le gouvernement britannique ”’ (article 2)
pour leur modification : ‘“ les limites des territoires ne seront en aucun cas modifiées sans accord du gouvernement britannique ”’ (article 3).
Le territoire du Cachemire, qui fut défini comme ‘“ toutes les régions collinéennes et montagneuses ainsi que leurs dépendances situées à l’est de la rivière Indus et à l’ouest de la rivière Ravi incluant la Chamba et excluant le Lahul ”’ (article 1) comprenait les pays du cours médian de l’Indus, même s’ils sont depuis le XVIIIème les vassaux des autorités de Kasghar563.
En application de l’article 2 du traité une commission chargée d’établir la démarcation entre Ladahk, Changtang et Yarkand fut mise sur pied en 1847, mais se heurta au refus de l’empereur de Chine qui considérait que : ‘“ Attendu que le territoire possédait déjà des frontières, il était inutile d’en établir d’autres ”’ 564. Les Anglais fixèrent unilatéralement leurs frontières, que Montgomerie reconnu et cartographia en 1865.
La même année, des troubles éclatèrent au Turkestan oriental où Yakub Beg tentait d’unifier les populations musulmanes. L’occasion fut mise à profit par le Maharadjah du Cachemire pour agrandir son territoire jusqu’à la bourgade de Shahidullah où il construisit un fort chargé de contrôler la route entre Ladakh et Turkestan, mais ne l’occupa que deux saisons.
La présence anglaise dans la région resta discrète, se bornant à explorer et cartographier : après la triangulation du Cachemire, différentes “ missions ” parcoururent ces confins afin d’y définir les routes commerciales les plus utilisables au départ de Leh, en direction de Yarkand ainsi que de Gartok. Attentives aux signes annonciateurs des changements de nationalité, les missions concoururent à établir une cartographie précise des frontières coutumières entre Ladakh, Tibet et Turkestan, ainsi que des zones litigieuses (région du Pangong Tso, zone Karakoram/Kuen Lun et Aksai Chin).
Lorsque les Chinois reprirent en main le Turkestan oriental (1878), la situation était toute autre et Anglais et Chinois s’occupèrent dès lors de la “ poussée ” russe dans les Pamirs. En 1890 les Chinois se manifestèrent en construisant un fort sur le Sugat La puis en installant au sommet du Karakoram La un immense écriteau : ‘“ Ce panneau est sous la juridiction de l’Empereur de Chine ”’ 565 et malgré les plaintes formulées par le Wazir Wazarat du Ladakh, les Anglais accueillirent favorablement cette activité chinoise : ‘“ Nous ne sommes pas mécontents de noter des signes d’activité de la part des Chinois ”’ ; ‘“ Plus nous pourrons fortifier la Chine en ce lieu, plus nous pourrons la pousser à affirmer son autorité sur la région Kashgar-Yardang ; plus elle nous sera utile comme un obstacle à l’avance russe le long de cette ligne ”’ 566.
Alaistair Lamb, op. cit., p. 101.
“ Since, however, that territory has its ancient frontiers it was needless to establish any other ”, D. Woodman, op. cit., p. 40.
“ This board is under the sway of the Emperor of China ”, id., p. 54.
“ We are not sorry to notice indications of activity on the part of the Chinese ”; “ the stronger we can make China at this point, and the more we can induce her to hold her own over the whole Kashgar-Yarkand region, the more useful will she be to us as an obstacle to Russian advance along this line ”, id., p. 56.