Si la “ Queen’s Proclamation ” confirma la politique de non-intervention lors du changement de statut de la Compagnie des Indes en celui de British Raj (désormais régit par un vice-roi) en 1858, les Anglais adoptèrent peu à peu une politique plus offensive vis à vis de leurs voisins en général et des royaumes himalayens en particulier. Ce changement d’attitude tint pour beaucoup à la nouvelle politique mise en place au Royaume-Uni par Benjamin Disraeli, comte de Beaconsfield, lors de son second mandat de Premier Ministre : le discours qu’il prononça à Cristal Palace en juin 1872 - imperium et libertas - posa les bases d’une “ forward policy ” que Lytton fit appliquer dès sa nomination comme Vice-roi des Indes en 1876, année de la proclamation de la reine Victoria comme Impératrice des Indes. L’Inde n’était plus seulement un “ jardin ” productif et un marché pour l’industrie anglaise. Elle devenait un territoire-clé dans la stratégie coloniale de l’Angleterre en Asie, qui s’inscrivait dans un contexte géopolitique nouveau, celui d’une compétition politique croissante sur le continent de trois puissances coloniales grandissantes : la Russie, la France et la Grande Bretagne567. Débuta alors ce qui est bientôt dénommé le “ grand jeu ” : ‘“ le Turkistan, l’Afghanistan, la Transcarpie, la Perse [...] sont les pièces d’un échiquier sur lequel est en train de se jouer une partie [un jeu] pour la domination du monde”’ 568.
Dans la seconde moitié du XIXème siècle, Anglais et Chinois étaient désormais en contact en Himalaya, mais le rapport de forces restait inégal : si l’Angleterre s’affirmait comme la première puissance militaire et coloniale, pleinement maîtresse de l’Inde, la Chine était quant à elle attaquée de toutes parts par les nations occidentales et le Japon. L’Angleterre n’était pas pour autant maîtresse du jeu puisqu’elle devait, dans son expansion en Haute Asie, veiller à ne pas hypothéquer ses investissements en Chine autant qu’à éviter tout conflit avec une Russie dont les conquêtes coloniales convergentes les amenèrent à proximité l’une de l’autre, dans les Pamirs.
Alaistair Lamb, op. cit., p. 62.
“ Turkistan, Afghanistan, Transcarpia, Persia [...] are the pieces on a chessboard upon which is being played out a game for the dominance of the world ”, Cette citation de Lord Curzon est placée en exorde de l'ouvrage collectif édité par Rosanne Klass, Afghanistan, the Great Game revisited, Londres, Freedom House, 2° édition, 1990.