Avec la clôture de la conférence de Simla le 3 juillet 1914 au soir s’achève, sur un bilan très mitigé, la période de mise en place au nord et à l’est du dispositif frontalier de l’Inde britannique. Face à un adversaire qui n’est plus aussi clairement identifié que par le passé, le dispositif de défense est fort hétéroclite :
dans le nord et l’est du Cachemire, à la jonction entre les Provinces Frontières du Nord-Ouest et de l’Est, les Britanniques n’ont pu imposer ou négocier quelque traité que ce soit avec la Chine et la sécurité de l’empire des Indes dépend plus de la difficulté technique de franchissement du massif que du dispositif armé protégeant le Cachemire ;
dans ce qui est aujourd’hui appelé le secteur central, nulle frontière nouvelle n’a été tracée ; les propriétés britanniques sont isolées du nord par un ensemble de principautés vassalisées, dont seule la frontière de basse altitude a fait l’objet d’un traité ;
à l’est, la Province Frontière du Nord-Est, formalisée sur le papier, n’a pas de réalité administrative ou militaire sur le terrain.
Les Provinces Frontières du Nord-Ouest et du Nord-Est ne présentent pas, à l’apogée du Raj, le même degré d’achèvement malgré des schémas de construction et de fonctionnement similaires. Elles présentent certes un même dispositif en profondeur - frontière dite “ scientifique ” par les Britanniques -, composé de trois lignes : la limite administrative britannique ; la frontière internationale effective ; une frontière stratégique en deçà de laquelle est institué un Etat-tampon (buffer-state) dont le gouvernement dispose d’un soutien économique et militaire.
Toutefois la comparaison entre Afghanistan et Tibet s’arrête là. Alors qu’avec la Russie, la Grande Bretagne avait su imposer (même difficilement) un statu quo, elle n’a pas su avec la Chine choisir entre les intérêts de la Couronne en Inde et les intérêts commerciaux britanniques en Chine. Mais sans doute faut-il ajouter que le Tibet ne participait pas à l’origine d’un projet géopolitique majeur, au même titre que l’Afghanistan : il n’était pas ici question de la préservation d’une voie terrestre ou maritime entre les Indes et le Royaume-Uni. Le Tibet demeurait, malgré les efforts de découvreurs comme Moorcroft, un cul-de-sac depuis que l’invasion russe de l’Asie centrale avait coupé les anciens axes commerciaux de la route de la soie et que les flux commerciaux vers et depuis la Chine étaient avant tout assurés par les routes maritimes595. Le dispositif frontalier britannique n’était pas conçu pour tenir compte d’une menace chinoise en haute Asie, mais pour limiter une expansion directe ou indirecte russe dans la région. Lorsque cette dernière faiblira, le dispositif se révélera inadéquat pour faire face à une poussé chinoise vers l’Inde.
Paradoxalement, c'est à cette époque de dépérissement qu'est inventé, par l’allemand Ferdinand Von Richthofen en 1870, le terme de "route de la soie".