Aux accrochages sur le terrain, qui se multiplient, s’ajoute un contentieux cartographique, qui débute en fait dès 1951, mais ne prend une tournure officielle qu’en juillet 1958, lorsque le numéro 95 de China Pictorial publie une carte sur laquelle des portions de la North Eastern Frontier Agency (NEFA), de l’Uttar Pradesh et du Ladakh sont intégrées au territoire chinois. Cette publication relançait une polémique qui avait vu le jour en octobre 1954 quand, lors de son voyage en Chine, Nehru avait attiré l’attention de Zhou Enlai sur des cartes chinoises présentant un dessin jugé incorrect de la frontière commune. En 1956 Zhou Enlai, questionné de nouveau lors d’un voyage à New Delhi, avait réitéré sa réponse antérieure, assurant que ces cartes étaient ‘“ essentiellement des reproductions de vieilles cartes du Kuomintang ”’ et que le gouvernement chinois n’avait pas eu le temps de les actualiser678. La note du ministère indien des affaires étrangères adressée le 21/8/1958 au Consul chinois en Inde rappelait ces faits, ajoutant que : ‘“ Alors que l’actuel gouvernement de la République Populaire de Chine est installé depuis de si nombreuses années et que de nouvelles cartes sont régulièrement imprimées et publiées en Chine, le Gouvernement de l’Inde souhaiterait suggérer que les corrections nécessaires sur les cartes chinoises, ne soient pas retardées plus longtemps ”’ 679. Dans sa réponse du 3/11/1958, le gouvernement chinois réaffirmait les propos de Zhou Enlai en assurant que la carte du “ China Pictorial ” était un “ croquis grossier ” : ‘“ Dans les cartes actuellement publiées en Chine, la frontière entre la Chine et ses voisins, y compris l’Inde, est dessinée sur la base de cartes publiées en Chine avant la libération. Ce fut clairement dit à son excellence le premier ministre Nehru par le premier ministre Zhou Enlai quand ce dernier visita l’Inde en octobre 1954. Le premier Zhou Enlai expliqua alors [...] que la raison pour laquelle la frontière était dessinée selon de vieilles cartes est que le gouvernement chinois n’avait pas encore entrepris un relevé cartographique de la frontière chinoise, ni consulté les pays concernés et qu’il ne ferait pas de changements de lui-même ”’ 680.
L’évocation claire d’une éventuelle remise en cause des frontières chinoises dans ce mémorandum motiva certainement la prompte réponse de Nehru, qui n’oubliait pas l’ambiguïté de la réponse chinoise de 1956 : ‘“ Je fus tracassé par cette réponse parce que je croyais qu’il n’y avait pas de contentieux frontalier majeur entre la Chine et l’Inde [...] Mais vous apprécierez que neuf années après que la République Populaire Chinoise soit instaurée, la publication régulière de cartes incorrectes est gênante pour nous comme pour d’autres. Il ne fait aucun doute que ces vastes espaces de l’Inde ne sont rien d’autre qu’indiens et qu’il n’y a pas de revendications possibles. Je ne vois pas quel type de relevé cartographique pourrait modifier ces frontières bien connues et fixées ”’ ; ‘“ Je me souviens de votre affirmation que vous n’aimiez pas cette frontière appelée Ligne McMahon et je répondis que je n’aimais pas le nom non plus. Mais par commodité nous le conserverions [...] Vous me dites ensuite que vous aviez accepté cette ligne McMahon comme frontière avec la Birmanie et, quoi qu’ai pu se dérouler auparavant [...] vous proposiez de reconnaître aussi cette frontière avec l’Inde ”’ 681.
Dans sa réponse du 23/1/1959 Zhou Enlai adopta un ton très différent de celui de 1956, remettant en cause l’acceptation tacite du tracé que le gouvernement indien prêtait à la Chine en raison de son silence : ‘“ Tout d’abord, j’aimerai préciser que la frontière sino-indienne n’a jamais été formellement délimitée. Historiquement aucun traité ou accord sur la frontière sino-indienne n’a jamais été conclu entre le gouvernement central chinois et le gouvernement de l’Inde. Pour ce qui concerne la situation présente, il existe des divergences entre les deux parties sur la question de la frontière ”’ 682. Zhou Enlai poursuivit en considérant la ligne McMahon comme ‘“ un produit de l’agression britannique contre la région tibétaine de Chine [...] Les autorités locales tibétaines étaient en fait mécontentes de cette ligne fixée unilatéralement”’ 683. Si la question de la frontière n’avait pas été soulevée auparavant, c’est que les conditions ‘“ n’étaient pas favorables à son règlement et que le gouvernement chinois, de son côté, n’avait pas eu le temps d’étudier le problème”’ 684.
"merely reproduction of old Kuomintang maps", H.K. Barpujari, op. cit., p. 307.
White Paper I, p. 46.
Ibid., p. 47.
Id., p. 51.
Id., pp. 52-53.
“ a product of the British policy of aggression against the Tibet Region of China [...] The Tibet local authorities were in fact dissatisfied with this unilaterally drawn line ”, Id., p. 53.
“ were not yet ripe for its settlement and the Chinese side, on its part, had no time to study the question ”, Id., p. 53.