Sur le terrain, la situation se dégrada avec la mort de 9 soldats indiens et la capture de 10 autres à proximité du Kongka la le 20/10/1959693. Zhou Enlai proposa alors (lettre du 7/11/1959) que les troupes se retirent à 20 km de part et d’autre de la ligne de contact, d’abord le long de la ligne McMahon puis à l’ouest, tandis que le statu quo serait maintenu jusqu’à ce qu’une réunion entre les deux premiers ministres résolve les litiges frontaliers694. Dans sa réponse du 16/11/1959, Nehru proposa que la ligne de référence ne soit pas celle ‘“ up to wich each side exercices actual control ”’ (au 7/11/1959), mais la frontière dessinée sur la carte du gouvernement chinois de 1956, ainsi ‘“ Le gouvernement chinois devra retirer son personnel à l’est de la frontière internationale qui a été décrite par le Gouvernement de l’Inde dans ses notes précédentes et sa correspondance”’ 695. Techniquement, cela signifiait ‘“ l’évacuation de plusieurs milliers de kilomètres carrés au Ladakh, dans lesquels les Chinois avaient conforté leurs revendications par des troupes. L’Inde n’aura qu’à abandonner une bande de 50 miles carrés dans le secteur sud-est de la zone litigieuse qui contient un poste de contrôle”’ 696. Par contre, cela signifiait à l’est ‘“ notre descente depuis des hauteurs de huit à dix mille pieds vers trois à quatre mille pieds, perdant toutes nos positions tactiques et s’installer dans des zones où les pistes et les cols n’ont plus d’intérêt”’ 697. Nehru invita Zhou Enlai à venir à Delhi ‘“ explorer les chemins qui pouvaient conduire à un règlement pacifique”’ 698.
Le sommet de Delhi, où Zhou Enlai se fit accompagner par son délégué, le maréchal Chen-yi, se termina le 25 avril 1960 sans avancée aucune, sauf que la déclaration commune finale proposa que des représentants des deux gouvernements ‘“ devraient se réunir et examiner, vérifier et étudier tous les documents historiques, rapports, comptes-rendus, cartes et autres matériaux relatifs au problème frontalier [...] et rédiger un rapport à soumettre aux deux gouvernements”’ 699. Au cours de cette semaine d’entretiens privés, Zhou Enlai proposa pour la première fois le “ package deal ” (accord global) ou “ barter deal ” (accord de troc), que Nehru résuma peu après devant le Parlement : ‘“ une tentative fut faite de faire valoir le secteur oriental et le secteur occidental”’ 700.
Les représentants des deux pays se réunirent de juin à septembre à Beijing701 et rendirent leur rapport en novembre 1960 qui fut, en Inde, présenté devant le Parlement en février 1961702. Au-delà des arguments et contre-arguments énoncés dans le rapport, qui peut être perçu comme une synthèse enrichie et documentée des différentes notes échangées par les deux gouvernements depuis 1956, le fait majeur est la présentation par les Chinois de la carte de leurs revendications qui présentait une avancée sensible de leurs positions, surtout dans l’Aksai Chin, par rapport à celle de 1956.
Dans un contexte politique interne assez tendu703, Nehru décida en novembre 1961 de battre les Chinois à leur propre jeu ‘“ quiconque parvenait à établir (même de façon symbolique) des postes pourrait émettre une revendication sur un territoire [...] Si les Chinois établissent des postes, pourquoi pas nous? ”’ 704, d’autant que le dispositif de défense indien était encore dans la NEFA à quelques kilomètres seulement au nord du pied des collines et que des rapports faisaient état de nouvelles implantations chinoises705. Cette “ forward policy ” permit à l’armée indienne d’établir une cinquantaine de nouveaux postes le long de la ligne de front et à la fin de 1962, les positions tenues par les uns et les autres sont à peu près égales en nombre. Mais l’imbrication des postes était désormais telle que les acquisitions indiennes devenaient très vulnérables, alors qu’elles ne disposaient pas, à la différence des positions chinoises, d’un réseau de desserte performant706.
Lorsque l’armée chinoise lança sa première offensive, le 20 octobre 1962, tous les avant-postes indiens furent pris en 48 heures et l’APL avança jusqu’à la ligne de 1962, suspendant son offensive le 27 octobre, après avoir occupé à l’ouest la vallée de la Galwan et pris à l’est le secteur de Tawang. L’armée indienne tenta de mettre ce répit à profit pour entreprendre la reconquête de Walong, à l’extrémité est de la NEFA le 14 novembre, mais l’offensive échoua et l’armée chinoise se lançât dans une contre-attaque sur l’ensemble du front, qui lui permit de prendre les cols de Se la et de Bomdi la les 18 et 19 novembre, ouvrant la route vers l’Assam tandis qu’à l’ouest la principale base indienne, Chusul, était bombardée.
Alors que les troupes indiennes reculaient, le gouvernement chinois annonça qu’à 0 heures le 22 novembre ses “ gardes frontières ”707 cesseraient les hostilités, et qu’ils se replieraient de 20 km derrière la ligne de contrôle effectif du 7 novembre 1959, au 21 décembre 1962, se réservant le droit de se défendre si les indiens continuaient leurs attaques, s’ils avançaient jusqu’à la ligne de front dans le secteur oriental ou s’ils refusaient de se replier dans les secteurs occidental et central, ou s’ils cherchaient à recouvrer les positions qu’ils occupaient avant le 8 septembre 1962708.
Les conditions de détention de ces soldats fut l’objet d’une controverse supplémentaire entre les deux gouvernements, l’Inde accusant la Chine de ne pas respecter la convention de Genève relative au sort des prisonniers.
White Paper III, Prime Minister China to Prime Minister India, pp. 45-46.
“ Chinese Government should withdraw their personnel to the east of international boundary which had been described by the Government of India in their earlier notes and correspondence ”, Ibid., pp. 47-51.
“ the evacuation of some thousands of square miles of Ladakh, in which the Chinese hace asserted their clame with troops. India would have to quit only a fifty square mile strip in the south-east corner of the disputed area which contains one chekpost ”, Times, 23/11/1959.
“ our coming down from the heights of eight to ten thousand feet to three to four thousand feet, losing all our tactical locations and coming to areas where tracks and passes lost their significance ”, B.N. Mullik, My Years with Nehru, the Chinese Bitrayal, Bombay, 1971, pp. 254-255.
“ to explore avenues which might lead to a peaceful settlement ”.
“ should meet and examine, check and study all historical documents, records, accounts, maps and other materials relevant to the boundary question [...] and draw up a report for submission to the two Governments ”, Report of the Officials of the Governments of India and the People’s Republic of China on the Boundary Question, New Delhi, Ministry of External Affairs, 1962, p. I.
“ the attempt was made to equate the eastern sector with the western sector ”, Neville Maxwell, India’s China war, Jonathan Cape, London, 1970, pp. 159-160. La proposition fut réitérée par le gouvernement chinois, mais refusée par les Indiens; Jayaprakash Narayan suggéra toutefois en 1964 que le gouvernement l’accepte.
Le gouvernement chinois justifia ce choix en expliquant que l’essentiel des matériaux était en Chine.
Pour une analyse précise des revendications des uns et des autres, ainsi que des matériaux employés, voir D. Woodman, op. cit., chapitre 10.
Et mettant à profit la faiblesse supposée de la Chine, voir J. A. Bernard, De l’empire des Indes à la République indienne, Paris, Imprimerie Nationale, pp. 175-180.
“ whoever succeeded in establishing (even symbolic) posts would establish a claim to a territory [...] If the chinese could set up posts, why couldn’t we ? ”, Propos qui aurait été tenus par Nehru lors d’une conférence militaire en octobre 1961, H.K. Barpujari, op. cit., p. 317.
D. Woodman, op. cit., p. 274.
Les troupes indiennes n’étaient pas des plus entrainées à combattre dans ce milieu semi-polaire, ni même acclimatées à l’altitude.
Le terme de troupes ou d’armée ne fut jamais employé dans les communiqués chinois.
Déclaration du gouvernement chinois du 21/11/1962.