La proclamation d’un cessez-le-feu unilatéral et le retrait annoncé des troupes (qui était achevé en janvier 1963, pour ce qui est de la présence armée dans la NEFA) sanctionna la victoire de la stratégie chinoise, sur le plan militaire, mais aussi diplomatique : le gouvernement de Beijing accéda aux demandes de Nehru - qui réclamait le retrait des troupes chinoises comme préalable à toute négociation -, mais selon un rythme propre et en deçà de la ligne qu’il avait choisi709. La défaite indienne fut totale : sur le terrain, l’armée se montra incapable de prendre l’offensive ou résister à la pression de l’APL, tandis que Nehru parut incapable d’anticiper, ou même de comprendre la diplomatie chinoise. Sans doute pourrait-on considérer l’aveuglement indien comme un “ cas d’école ” et envisager que les Indiens ‘“ dans leur satisfaction de voir le contraste entre leur propre dossier et la quasi absence de documentation historique ou légale du côté chinois, ’ ‘[ils]’ ‘ perdirent de vue les implications majeurs de la façon dont les Chinois conduisaient les négociations frontalières”’ 710. La défaite fut d’autant plus amère que, le temps du conflit sino-indien, la Chine régla sans incident majeur ses problèmes de frontière avec la plupart de ses voisins, sur un mode bilatéral711.
La confrontation avec l’Inde fut en fin de compte pour la Chine l’occasion d’acquérir un savoir-faire en matière de négociation de frontière. Elle ne fera pas preuve, à l’égard des autres Etats, de cet amateurisme que Margareth Fisher signalait après une étude méticuleuse des rapports indiens et chinois de 1960 : ‘“ Le gouvernement indien fut à la fois consciencieux et prudent en présentant sa position, et tenta de répondre aux objectifs des discussions - examiner en détail les divergences existant entre les deux gouvernements sur la question de la frontière. D’un autre côté, le gouvernement chinois ne montra aucun intérêt dans le contenu des discussions, ce que leur présentation étonnamment négligente démontra amplement”’ 712 . Ajoutons enfin que les difficultés que rencontra l’Inde dans ses négociations de frontière avec la Chine purent constituer un levier qu’utilisa cette dernière dans les négociations qu’elle entreprit avec ses autres voisins.
Plus qu’une incohérence diplomatique guère crédible, il est admis que les Chinois ont voulu “ donner une leçon ” au gouvernement indien, à l’égal de celle qu’ils donneront aux Vietnamiens en 1979. Mais les raisons invoquées varient : certains mettent en avant une rivalité diplomatique réelle auprès de la “ clientèle ” des pays du tiers-monde, qui aurait constitué un facteur de durcissement des positions chinoises713; d’autres y voient l’occasion de faire oublier une situation interne difficile consécutive au “ grand bond en avant ”.
Notons que Beijing n’a en fin de compte jamais décrit la localisation précise de sa frontière traditionnelle, ce qui le laissa libre de “ promener sa frontière ” sur le territoire indien!
“ in their pleasure over the contrast between their own case and the near absence of genuire historical or legal documentation offered by the Chinese, lost sight of some of the major implications of the way in which the Chinese handled the border talks ”, M. Fisher, op. cit., p. 128.
Ironiquement, quand V. P. Patel évoquait la Birmanie en 1950, c’était pour noter que “ Burma has the added difficulty that it has no McMahon line round which to build up even the semblance of an agreement ”; Lettre de Patel à Nehru, op. cit., p. 290.
“ The Indian Government was both thorough and careful in presenting its case, and attempted to fulfill the stated purpose of the talks - to examine in details the differences between the two governments on the border question. On the other hand, the Chinese Government showed no interest in the substance of the talks, as their astonishingly careless presentation amply demonstrated ”, M. Fisher, op. cit., p. 126.
Les deux pays sont aussi confrontés à des situations internes difficiles.