b) Rapprochements Et Rendez-Vous Manqués

En Inde, ce rapprochement avec l'URSS ne fut jamais compris par le gouvernement comme une subordination du pays à l’URSS732, mais plutôt une alliance “ de revers ”733 le garantissant militairement de toute attaque de l’un ou l’autre de ses voisins734 et la laissant libre de mener une politique de puissance régionale, marquée par un lent rapprochement avec les ennemis du passé récent, comme le Pakistan. Encore faudrait-il parler de stabilisation des tensions entre les deux pays plus que de rapprochement, tout au moins jusqu’au début des années 1990 : les accords de Simla, conclus en 1972 au sortir du troisième conflit indo-pakistanais, posent les conditions d’un modus vivendi; l’“ esprit de Simla ” constitue le cadre de référence des relations indo-pakistanaises, qui autorise le développement des liens entre les deux Etats sans règlement préalable de la frontière commune au Kashmir735. A la suite de ce “ moindre éloignement ” indo-pakistanais, les relations avec les USA se sont globalement améliorées, même si elles ne furent jamais totalement mauvaises et demeurent encore aujourd’hui relativement ambiguës736.

L’amélioration des relations avec la Chine suivit un cheminement tout aussi complexe et heurté, mais où les conditions internes aux deux pays parurent prévaloir sur celles des “ alignements ” respectifs. La première tentative fut l’accueil chaleureux réservé par Mao Zedong au chargé d’affaire indien Brajesh Mishra en 1970 (le “ Mao smile ”), alors que la Chine, isolée sur la scène internationale et en difficulté sur sa frontière mandchoue cherchait surtout à réduire les tensions avec ses autres voisins. Malgré l’échec de cette première tentative, Zhou Enlai approcha de nouveau Brajesh Mishra pour féliciter Indira Gandhi de sa réélection en mars 1971, mais l’éclatement de la guerre civile au Bengale oriental coupa court à cette seconde tentative de rapprochement, chaque Etat remplissant ses devoirs d’alliance : la Chine avec le Pakistan et l’Inde avec les sécessionnistes du Pakistan oriental et surtout contre le gouvernement pakistanais. La tension entre Inde et Chine s’aggrava d’autant plus qu’en août de la même année le rapprochement indo-soviétique fut confirmé par la signature du traité de paix d’amitié et de coopération.

Le premier signe de “ décrispation ” apparut en 1976, avec la décision indienne de rétablir des relations au niveau des ambassadeurs entre les deux pays737. L’action d’Indira Gandhi fut sans doute motivée par l’évolution du paysage politique en Asie du sud, après le renversement du gouvernement bangladeshi que l’Inde avait contribué à faire accéder au pouvoir. Elle fut plus encore motivée par la situation en Himalaya puisqu’en 1975 le royaume du Sikkim fut intégré dans l’Union Indienne, provoquant une vigoureuse protestation chinoise, ainsi que le renforcement du dispositif de l’APL, notamment dans le secteur de Longju. Enfin la décision est intervenue après la mort de Mao Zedong et Zhou Enlai : au-delà de la disparition des deux “ instigateurs ” de la guerre de 1962, les diplomates pouvaient escompter un renouvellement de la politique chinoise.

Mais peu fut accompli, en raison sans doute de l’évolution du paysage politique en Inde. Une mission conduite par Atal Behair Vajpeyi, ministre des affaires étrangère du gouvernement Janata Dal, fut envoyée à Beijing en 1979 pour négocier la normalisation des relations entre les deux pays et évoquer la question frontalière. La réception chinoise fut indifférente, les Chinois étant en train d’attaquer le Vietnam pour lui donner une “ leçon ”. Sans doute le gouvernement Janata fut-il perçu par le gouvernement de Beijing comme un gouvernement de transition insuffisamment représentatif pour entamer de véritables négociations sur la question des frontières, qui nécessitaient un gouvernement fort, capable d’imposer sur la scène intérieure des choix de politique internationale.

Notes
732.

Si l’Inde n’approuva ni ne désapprouva jamais formellement à l’ONU les actions soviétiques hors de leurs frontières, elle n’accorda par contre jamais l’usage de la base de Visakhapatnam à la flotte soviétique.

733.

Ou peut-être allié de circonstance : “ La politique extérieure de l’Inde se développe précisemment sur des axes qui croisent la nouvelle problématique soviétique ”, C. Jaffrelot, L’Inde contemporaine, op. cit., p. 148.

734.

Le premier essai nucléaire (réalisé en 1974) y contribua sans doute tout autant.

735.

L’esprit de Simla persista jusqu’à la mort de son instigateur pakistanais Ali Bhutto en 1979 mais fut réactivé par sa fille Benhazir dès son arrivée au pouvoir en 1988; entre temps, Zia ul Haq prôna plutôt un “ No War Pact”, voir J. A. Bernard, De l’empire des Indes ..., op. cit., pp. 316-318, qui pourrait se résumer en “ ni guerre ni paix ”.

736.

Hans Morganthau déclara “ D’un côté nous armons le Pakistan dans un but qui n’est vraiment clair pour personne, forçant ainsi l’Inde à consacrer une grande proportion de ses ressources productives au secteur armement afin de maintenir le rapport de force avec son voisin. Puisque, dans nos moments de sagesse, nous nous rendons compte qu’il serait suicidaire de laisser échouer l’expérience socio-économique de l’Inde, nous nous apprêtons à soutenir son économie [...] pour compenser la perte de ses ressources transférées au budget de la défense, transfert pour lequel nous sommes indirectement responsables ”, cité dans Jyotsna Saskena, Les relations extérieures de l’Inde, Paris, FEDN, 1991, p. 51.

737.

Depuis le conflit de 1962, les relations entre les deux gouvernements ne furent jamais totalement rompues, mais la représentation diplomatique fut réduite à l’envoi de chargés de mission auprès des gouvernements.