b) Huit Sessions

La première réunion de discussions débuta le 10 décembre 1981, avec la proposition par Deng Xiaopin d’un “ package deal ” identique à celui de Zhou Enlai, soit le gel des positions sur le terrain avec quelques concessions mineures des deux côtés. Narashima Rao rejeta l’offre de Zhou Enlai, considérant qu’il mélangeait agresseur et victime et ne reconnaissait pas la ligne McMahon, officialisant en outre les gains territoriaux chinois obtenus par la force. Les revendications minimales indiennes étaient que la Chine reconnaisse qu’elle occupait un modicum de l’Inde, ou au moins des territoires litigieux ; position d’autant plus nécessaire au dialogue que nombre de fonctionnaires du ministère indien des relations extérieures conservaient en mémoire la défaite humiliante de 1962, qu’une partie du ministère était ralliée à la tendance des “ non-settlers ”741.

Rien ne sortit de cette première réunion, si ce n’est l’accord de se rencontrer à nouveau : elle fut avant tout un exercice de propagande pour les Chinois qui refusèrent d’ailleurs de discuter réellement leur offre lorsque les Indiens leur proposèrent de négocier, cartes à l’appui. Les deux réunions suivantes ne modifièrent rien : la volonté chinoise de négocier sembla s’être refroidie mais rien n’a filtré des discussions. La position indienne était de ne pas discuter de la légalité des positions respectives, puisqu’elles avaient déjà été établies dans les rapports officiels de 1960. La seule concession indienne proposée était de rechercher un terrain d’entente sans abandonner la position légale.

Lors de la quatrième réunion, les représentants indiens acceptèrent la suggestion chinoise de désolidariser la normalisation des relations entre les deux pays de la résolution du différent frontalier. La réunion a permis un développement substantiel des échanges dans différents domaines742. Un accord majeur fut signé sur les modalités de conduite des discussions, en procédant secteur par secteur. On peut considérer que cette réunion a permis un déblocage des négociations, avancée notable qu’il faut sans doute mettre en parallèle avec la décrispation survenue dans les relations sino-soviétiques.

L’attitude des représentants chinois parut favorable au déblocage de la situation, ces derniers semblant désireux de régler la question de la ligne McMahon dès lors que le côté indien était prêt à des concessions minimes ; il en était de même pour l’Aksai Chin. Mais l’atmosphère préélectorale qui prévalait en Inde a sans doute conduit Indira Gandhi à ne pas entreprendre de négociations qui auraient pu être perçues comme des signes de faiblesse auprès de l’opinion publique indienne. Les discussions furent en définitive arrêtées après l’assassinat d’Indira Gandhi en octobre 1984.

Malgré la multiplication des contacts entre les deux pays entre la 5° et la 6° réunion, aucun progrès ne fut enregistré jusqu’à la rencontre entre les deux ministres des affaires étrangères Bali Ram Bhagat et Wu Xuequin à New York. Ce dernier déclara que la frontière était le ‘“ problème en suspens ”’ et que le contentieux serait résolu dans un esprit de ‘“ compréhension mutuelle et d’effort mutuel ”’. Un tel langage suggérait que les deux pays étaient en faute lors du conflit de 1962. Wu Xuequin affirma la volonté de Zhao Zyiang de s’entretenir avec Rajiv Gandhi. Au cours de cette rencontre, qui eut lieu en octobre 1985 à New York, Rajiv Gandhi fut invité en Chine, mais repoussa l’invitation tant qu’un travail préparatoire ne serait pas réalisé.

Au cours de la sixième session de discussions, les représentants chinois proposèrent de nouveau le “ package deal ”, rappelant aussi leurs positions : à l’est la frontière passe bien au sud de la ligne McMahon, soit le long de la Inner line de l’administration britannique743. Loin de considérer cette attitude comme un cas de rupture des négociations, les Indiens considérèrent que les Chinois avaient simplement durci leur position : en décembre 1985, le ministre des relations extérieures affirma au Rajya Sabha que le règlement du problème frontalier était indispensable à la normalisation complète des relations.

De plus, les relations entre les deux gouvernements se dégradèrent en 1986, en raison notamment de l’implication chinoise dans le programme nucléaire du Pakistan. Dans le rapport annuel du ministère indien de la défense, la menace chinoise était évoquée dans une nouvelle section traitant de sécurité nationale. Mais les chances d’une poursuite des négociations augmentèrent quand l’agence Xinhua publia un article suggérant un assouplissement de la position chinoise quant à la ligne McMahon : les Chinois suggéraient qu’une ligne de contrôle effectif entre les deux côtés était tracée sur le versant chinois de la frontière comme conséquence des “ forward policies ” des Britanniques et des Indiens. La réponse indienne à l’article, interprété comme un signe d’adoucissement, fut prompte et considérait qu’un terrain d’entente avait été trouvé, que le ministre des affaires étrangères se rendrait en visite à Beijing à la fin de l’année.

Mais lors d’une interview accordée à des journalistes à la mi-juin 1986 le ministre-délégué aux affaires étrangères chinois déclara qu’aucun règlement ne serait possible tant que le gouvernement indien ne ferait de concession à l’est. Il ajouta que le secteur oriental était le plus contesté et qu’à son avis, l’Inde occupait quelque 200 000 km2 de territoire chinois. Cette affirmation était une nouveauté par rapport à la position classique qui était de considérer l’Aksai Chin comme le problème majeur : elle démontrait en fait que les enchères seraient d’autant plus élevées que les Indiens seraient perçus comme intransigeants.

Facteur aggravant, les Chinois entreprirent, peu avant le début de la septième série de discussions, de pénétrer régulièrement dans la vallée de la Sumdorong chu en réponse aux installations indiennes de l’année précédente. Les Indiens y avaient envoyé un petit détachement, comme test de l’état de la préparation chinoise et de la réaction des soviétiques (qui venaient de faire des ouvertures à la Chine). Mais cette fois-ci, la médiatisation des événements fut toute autre que celle qui prévalu avant 1960 et dès les premiers accrochages, K.R. Narayanan, ministre des affaires étrangères, tint le parlement informé, tandis que la presse relaya abondamment l’événement744.

Malgré les accrochages, les discussions reprirent comme prévu en juillet 1986, au cours desquelles les incidents de la Sumdorong chu furent largement commentés. Seul acquis de ces réunions, les autorités chinoises acceptèrent de remplacer la propriété de l’ambassade de l’Inde, en compensation de celle qui fut confisquée au cours de la révolution culturelle. A la fin des discussions, le nouveau ministre des affaires étrangères indien - Shiv Shankar - rencontra Wu Xueqian à New York. La discussion se serait conclue par un accord sur la neutralisation de Wangdong, dans la Sumdorong chu. Ce progrès dans la détente fut toutefois limité par l’élévation de l’Arunachal Pradesh (ex NEFA) au rang d’Etat de plein droit.

Malgré la normalisation administrative d’un territoire en litige et l’opération Chequerboard 745, la huitième session de négociations se déroula comme prévu à l’été 1987. La volonté d’éliminer tout risque d’escalade militaire favorisa l’amélioration des relations économiques et du commerce746, désormais dissociées des négociations sur la frontière qui demeuraient dans l’impasse. Selon les diplomates indiens seule une option politique pouvait faire progresser les discussions : Rajiv Gandhi décida de se rendre à Beijing en décembre 1988. La recherche d’un succès en politique étrangère fut l’enjeu réel du déplacement, d’autant plus nécessaire qu’une inaction aurait eu un coût encore plus élevé en politique étrangère depuis que les relations sino-soviétiques tendaient à s’améliorer et imposaient un rapprochement sino-indien747.

Notes
741.

Deux tendances ont existé parmi les diplomates indiens : à ceux qui refusaient toute évolution tant qu'un retrait des troupes chinoises n'avaient pas pris place, s'opposaient les "settlers", qui préconisaient comme préalable le déblocage de la situation.

742.

Principalement le domaine des sciences, de la culture et du commerce.

743.

Etrangement, cette formulation ne fut jamais faite par les Chinois et leur revendication simplement connue par des cartes et la superficie du territoire concerné. Inversement, les Indiens ne mirent jamais en avant l’absence de documents qui auraient prouvé la souveraineté chinoise sur ce territoire.

744.

Voir notamment la série d’articles qui furent consacrés à l’événement dans les numéros d’India Today d’août 1986.

745.

En 1986-87, l’armée indienne procéda à des exercices de grandes ampleur : Chequerboard le long des frontières chinoises et Brasstacks le long de celle du Pakistan.

746.

En fait l'affrontement militaire aurait été hasardeux en raison de fortes chutes de neige dans le secteur.

747.

Le voyage en Chine de Rajiv Gandhi recouvrait aussi un objectif de politique intérieure : la popularité du premier ministre, ébranlée par son incapacité à ramener le calme au Penjab malgré un renforcement des effectifs militaires, était de plus menacée par l’éclatement du scandale des canons Bofor, pour lequel l’opposition demandait des enquêtes complémentaires, voire la résignation du premier ministre.