L’acquis majeur des huit sessions annuelles fut sans doute l’accord portant sur la désolidarisation du règlement du conflit frontalier de d’amélioration des relations entre les deux pays. Il a contribué à ce que les accrochages sur le terrain ne viennent pas remettre en cause le processus de normalisation. Ce, d’autant que la Chine, ayant su conforter sa présence au Tibet depuis le conflit de 1962755, souhaiterait de faire de ce dernier une passerelle commerciale vers l’Inde, par où transiterait l’essentiel du milliard de dollars d’échanges commerciaux entre les deux pays qu’elle envisage dans un proche avenir756.
Le second acquis est la création à l’issue du voyage de Rajiv Gandhi, d’un Joint Working Group (JWG, ou groupe de travail mixte), qui tint sa première réunion à Beijing en juin-juillet 1989 et qui s’est réuni chaque année alternativement dans chaque capitale. La 4° réunion s'est tenue en février 1992, en présence pour la première fois des ministres de la défense et a été marquée par plusieurs progrès significatifs : tout en recherchant une solution acceptable du problème frontalier, les deux côtés ont discuté de mesures capables de restaurer la confiance dans les zones frontalières, qui passerait notamment par la réduction des forces en présence le long de la ligne de contrôle; un accord a été atteint pour que le personnel militaire présent des deux côtés tienne des réunions bisannuelles en juin et octobre au Bum la pour le secteur oriental et dans la zone du cap Spanggur pour le secteur occidental757; des “ lignes rouges ” sont établies entre les personnels de part et d'autre de la frontière afin de limiter les accrochages possibles; enfin, les deux pays ont accepté le principe de ne pas insister sur la définition d’un calendrier trop précis de résolution du litige frontalier.
Ce lent travail a abouti à la signature le 7 septembre 1993 à Beijing d’un Accord Sino-indien sur la restauration de la confiance de part et d’autre de la ligne de contrôle effectif, qui réalise la synthèse des avancées des travaux des JWG. Au-delà de sa portée technique, le traité de septembre 1993 a un contenu extrêmement politique, puisqu’à l’instar de celui de Simla, que ratifièrent Indiens et Pakistanais en 1972, il pose les jalons d’une théorie du voisinage, d’un code de conduite à la frontière.
Il constitue surtout une approche nouvelle dans les discussions qui se déroulent désormais à deux niveaux : les négociations globales, qui demeurent la prérogative du JWG758, sont dissociées des actions sur le terrain où les responsables militaires disposent d’une certaine liberté de manoeuvre dans le cadre du maintien de la tranquillité le long de la frontière. C’est une avancée notable de la part des Chinois, qui avaient depuis 1960 refusé le principe de prise en compte les positions respectives occupées avant tout règlement préalable sur le papier.
Ce document paraît marquer le point d’orgue des tensions le long de la dyade sino-indienne, d’autant que sur le terrain la situation devrait se débloquer après la décision de réduire, de façon concertée et sous la surveillance d’observateurs des deux pays, les troupes en présence de part et d’autre de la LCE759. Toutefois, l’accord ne concerne pour l’instant que les troupes occupant 4 postes se faisant face dans la Sumdorong chu (secteur chinois de Wangdong)760, considérés comme trop proches, et ne constitue pas une reconnaissance de la ligne de contrôle effectif (LCE) : ‘“ Ces retraits [...] seront sans préjudice pour les positions respectives le long de la LCE”’ 761. La situation sur le terrain demeure inextricable : ‘“ call it confrontation or close proximity ... the troops are there ”’ 762.
De même, si des points de passage ont été ouverts dans la LCE (Spanggur gap, Lipulekh la, Natu la, Bum la) ils constituent avant tout des portes techniques permettant aux militaires stationnés de part et d’autre de se rencontrer, même s’ils sont parfois ouverts aux civils. En fait, les progrès que les deux protagonistes ont obtenus depuis seize ans pourraient se réduire - si cela ne représentait pas déjà une avancée notable - à la reconnaissance sur le terrain des positions occupées par les uns et par les autres, et à leur prise en compte dans les négociations de frontière.
Voir chapitre suivant.
On retrouve cette même logique en Asie de l’est et du sud-est, qui consiste à privilégier les relations économiques et à faire passer au second plan les litiges territoriaux.
La réunion d’août 1995 a décidé de porter à quatre le nombre de points de rencontre : au Natu la (Sikkim) et dans le secteur central (Lipulekh la ou Shipki la).
Le JWG procède à deux niveau : politique entre deux représentants des affaires étrangères, technique avec la réunion d’experts. Ses compétences concernent d’abord la ligne frontière, mais d’autres aspects des relations bilatérales sont de plus en plus fréquemment évoquées, comme le contrôle de l’espace aérien, ou les transferts de technologie chinoise au Pakistan.
Décision prise à la réunion d’août 1995, Hindu, 20/8/1995.
Mais ce retrait constitue surtout un avantage pour les troupes chinoises, comme le supposait un journal indien : “ The result of the eight meeting ... is that both sides will withdraw two posts each from the Wangdung area, presumably the two forward checkposts overlooking the Chinese posts ”, The Hindustan Times, 13/9/1995.
“ These withdrawals [...] will be without predjudice to the respective positions on the LAC ”, Hindu, 21/8/1995. Mais le désengagement militaire dans ce secteur est de portée limitée, puisqu’il correspond avant tout au retrait des troupes qui avaient été envoyées en renfort au moment des accrochages de 1986.
Qian Qichen, AFP 18/7/1994.