Dans cet espace de transition entre des mondes marqués par des héritages coloniaux ou impériaux se pose clairement le problème de la normalisation des situations aux frontières. Le problème est compliqué par la jeunesse des constructions étatiques en contact, et le caractère encore très exogène des territoires périphériques considérés : il y a clairement antécédence du fait frontalier sur le fait national (aussi incomplet que soit le premier).
Les Etats en présence doivent à l’heure actuelle gérer l’insertion dans la dynamique nationale de territoires périphériques et différents selon le double mode d’une intégration sociale et économique (dans un contexte global lié au développement économique) et celui de concevoir une protection militaire des territoires nationaux, dans un autre contexte, de voisins adversaires déclarés et perçus comme concurrents.
Les deux contextes renvoient à des perceptions et donc des pratiques distinctes du territoire national :
la première présuppose l’unité territoriale, qu’il s’agit de conforter au travers d’une démarche - classique - d’aménagement du territoire : développement des diverses infrastructures, intégration économique par le biais de financements spécifiques, ... La spécificité du milieu himalayen (une topographie complexe, un très fort retard ou une absence de développement) ne constitue pas un obstacle en soit, mais génère un surcoût difficilement finançable pour les Etats concernés, en voie de modernisation et d’intégration.
la seconde devrait procéder de même, notamment au regard de la charge émotionnelle généralement affectée au territoire national, qui est l’expression spatiale inaliénable de l’Etat national, et dont le gouvernement se porte garant. Mais dans quelle mesure les territoires himalayens sont-ils intégrés à cette “ idée nationale ” ?
Le facteur nucléaire vient compliquer la question, puisque depuis 1974 l’Inde dispose - au moins potentiellement - d’un arsenal nucléaire, au même titre que la Chine, et le Pakistan sans doute. On est en présence du seul cas de voisinage belliqueux direct entre des Etats disposant d’un armement nucléaire764. Du fait du contact direct, comment est gérée la théorie classique de la dissuasion nucléaire, impliquant en théorie l’existence de frontières différentielles ?
Y a-t-il contradiction entre ces deux pratiques de l’espace, ou au contraire la confrontation de leurs exigences respectives contribue à la création d’un ou de plusieurs systèmes originaux ? Une contrainte nouvelle est apparue depuis peu : depuis 1989 chacun des Etats en présence doit gérer “ l’après-URSS ”, soit la disparition d’un allié, d’un ennemi ou d’un soutien lointain, mais aussi une de ces conséquences implicites, qui est l’émergence d’une compétition économique entre nations.
Cela, pour des Etats du tiers-monde. N'oublions pas l'URSS et la Chine; une même configuration existe depuis 1991, entre Russie et Ukraine.