Chapitre Sept
le Tibet : Un Enjeu À Géographies Variables

En décembre 1950 l’Armée Populaire de Libération (APL) achève de “ libérer pacifiquement ” le Tibet : pour la première fois dans l’histoire, des unités chinoises s’installent de façon permanente au nord de la chaîne du grand Himalaya, prélude au déploiement d’un dispositif politico-militaire qui marque depuis un demi-siècle l’espace tibétain et qui a bouleversé les structures politiques, administratives et sociales antérieures.

Traiter de la question du Tibet n’est pas une fin en soi, quel que soit l’intérêt qu’on puisse témoigner au territoire, à la civilisation ou à la lutte politique : il ne s’agit pas de rendre compte de l’affrontement entre une “ minorité nationale ” et le pouvoir central de Beijing, mais bien de l’incidence que peut avoir la question tibétaine dans la gestion des frontières himalayennes. Il s’agit avant tout de comprendre, au travers des modalités chinoises d’occupation de l’espace et des pratiques politiques à l’oeuvre quel rôle peut (ou veut) jouer la RPC en Haute Asie, dans un contexte nouveau où la disparition d’un adversaire de force supérieure rend possible (et nécessaire) une redéfinition de la politique aux frontières, comme de l’action dans les régions frontalières. Cette redéfinition du rôle des régions frontalières s’inscrit elle-même dans un contexte économique nouveau, où “ l’économie socialiste de marché ” est devenue la doctrine officielle du gouvernement chinois765.

La traduction spatiale de la nouvelle orientation économique recouvre dans les périphéries de la Chine des formes variées, aux conséquences parfois contradictoires, qui viennent en outre se surimposer aux pratiques territoriales antérieures : sur l’espace tibétain se dessinent plusieurs géographies de la présence chinoise.

Quelle que soit l’approche choisie se pose la question des sources et de leur fiabilité. L’emploi des sources officielles chinoises - quand elles sont disponibles - rend difficilement compréhensible la situation observable sur le terrain766, tant le “ décryptage ” nécessaire paraît être complexe en raison de l’absence ou de la faiblesse de sources contradictoires767. Il faut donc régulièrement confronter ces sources avec celles du Gouvernement tibétain en exil, qui s’est longtemps refusé à diffuser des informations à caractère politique, (comme l’impose d’ailleurs l’accord de neutralité politique qu’il a passé avec le gouvernement indien comme condition sine qua non de l’octroi de l’asile) et ne commença à le faire que depuis le milieu des années 1980768.

Notes
765.

Elle remplace celle prônée par Mao Zedong, de “ compter sur ses propres forces ” et fut relancée au début de 1992 par le “ voyage dans le sud ” de Deng Xiaoping.

766.

Voir l’article de Pierre Gentelle, “ Chine : la région autonome du Tibet ”, Information Géographique n°1 jan-fév, 1975, qui, faute de pouvoir se rendre sur le terrain, a principalement utilisé les sources de l’Agence Chine nouvelle (Xinhua).

767.

Voir Jean Pierre Cabestan, Le système politique de la Chine populaire, Paris, PUF, 1994, pp. 46-53.

768.

Via notamment le Tibet Information Network, qui fournit un suivi de la presse chinoise et relaie les informations issues du gouvernement tibétain en exil, ainsi que nombre de travaux ayant trait au Tibet, qu’il rend disponibles. Quelle que soit la validité qu’on accorde à ces informations, elles constituent au moins une alternative acceptable aux sources chinoises, assez lacunaires sur le Tibet. Pour une vision assez équilibrée des principales sources disponibles, on se reportera à Françoise Aubin, “ Ecrits récents sur le Tibet et les Tibétains, Bibliographie commentée ”, Les Cahiers du CERI, n°6 - 1993, 68p.