i- Les Minorités De La Chine

1) Au-Delà Des Grandes Passes

L’enveloppe externe de la République Populaire de Chine est récente, héritée de la dynastie mandchoue des Qing, dont l’expansion aux XVIIè-XVIIè siècles marquait alors l’achèvement d’un mouvement de colonisation de longue durée vers les terres tropicales du Sud, qui était la caractéristique “ fondamentale ” de la formation géopolitique de la Chine769. Elle marquait ailleurs l’intégration dans le (ou la soumission au) système impérial des peuples de la périphérie, dont les attaques récurrentes avaient souvent entraîné la chute des dynasties impériales chinoises et dont la cour était elle-même issue.

C’est paradoxalement cet héritage territorial d’une dynastie non fondée par des Han (et à l’égard desquels une très forte discrimination fut d’ailleurs établie et maintenue jusqu’à la révolution de 1911) qui fut assumé par la République chinoise puis par la République Populaire de Chine à partir de 1949. Ce n’est pas l’héritage territorial de 1911 qui fut retenu, sans doute trop marqué par les “ traités inégaux ” signés avec les occidentaux au cours du “ siècle de honte ”, et réduit de fait à une portion congrue par les indépendances régionales qu’avaient su se constituer, notamment dans le Sichuan, les “ seigneurs de la guerre ”. C’est celui de l’empire dans sa plus grande extension - vers 1750-1780 -, qui forma le cadre géopolitique de référence pour légitimer toute action de politique étrangère, mais surtout pour justifier l’extension même du territoire contrôlé par le gouvernement chinois, et notamment la réintégration du Xinjiang en 1949 comme l’intégration du Tibet en 1950 (soit plus de 4 millions de km2)770.

Se considérant comme l’héritière de la Chine impériale, la RPC se définit ‘comme “ un des plus anciens pays au Monde ”’, mais la construction nationale est datée de 1949 et doit être considérée comme postérieure à celle de l’enveloppe frontalière qui n’est pas, comme en Inde, héritée d’un système colonial abattu, mais fut construite par défaut à partir des frontières des Etats voisins quand elles étaient fixées771, et des limites en grande partie incertaines léguées par l’empire Qing.

La référence retenue par Sun Yatsen au début du siècle et reprise par Mao Zedong en 1939 (et implicitement validée par son successeur Deng Xiaoping) n’est pas innocente puisqu’elle correspondait en fait à l’apogée de la représentation chinoise de sa localisation dans l’univers. Auto-défini comme Zhong Guo - l’empire du milieu -, cet ‘“ empire sans voisins ”’ ne concevait pas de peuples étrangers ‘“ autre que tributaires, soumis ou rebelles ”’ 772 : le tournant du XVIIè siècle marquait l’extension historique maximum du territoire de la Chine, qui engloba par des liens politiques variés (essentiellement de suzeraineté plus ou moins lâche) l’ensemble des peuples qui avaient par le passé menacé ou remis en cause l’empire.

Dans le territoire actuel de la RPC, l’espace marqué par la civilisation han ne représente que 40% du territoire total ; le reste est peuplé de “ minorités nationales ”, soit 8,05% de la population au recensement de 1990 : la Chine est un des derniers empires multi-ethniques du monde. Mais en première instance le discours officiel chinois ne différencie pas le territoire national selon des critères de peuplement et le définit comme : “ China’s sacred territory”, ou “ motherland ” 773 , espace qui englobe toutes les populations qui ont contribué à l’histoire de la Chine et qui sont désormais intégrées, ou en passe de l’être, dans les limites du territoire national de la RPC. La presse chinoise introduit toutefois une différenciation entre l’intérieur “ hinterland ” ou “ inner China ” et la périphérie “ border areas ” ou “ peripheries ”, qui se complète implicitement d’une seconde différenciation, entre Chinois (han) et autres peuples.

Notes
769.

Michel Foucher, Fronts et frontières, Paris, Fayard, 1989, p. 39.

770.

Calcul réalisé en tenant compte des limites administratives actuelles, et non des territoires intégrés à partir de 1949 en raison de leur limites incertaines.

771.

Voir notamment June Teufel Dreyer, China's Forty Millions : Minority Nationalities and National Integration in the People's Republic of China, Harvard, Harvard University Press, 1976, pp. 83-86.

772.

Jacques Bacot, Introduction à l'histoire du Tibet, Société Asiatique, Paris, 1962, p. 6, note 3. Le premier texte connu présentant un caractère géographique, le Yü Kung (V° siècle av. J.-C), différencie le domaine royal, les domaines princiers, les marches ou zones de pacification, la zone des barbares alliés et celles de la sauvagerie inculte. Ce "sino-centrisme" a développé chez les Chinois un incontestable sentiment de supériorité encore vivace aujourd'hui :"il faut combattre le chauvinisme grand-Han", affirme la Constitution de la RPC du 4/12/1982. Curieusement la formule, qui faisait partie du corpus de la Constitution de 1975, ne figure plus que dans le Préambule de celle de 1982 (alors qu'elle était encore présente dans son brouillon).

773.

Quotidien du Tibet, 11/10/1993.