b) De La Bonne Gestion Des Minorités Aux Frontières

Dans les périphéries, le gouvernement central a mis en place des statuts d’autonomie à tous les échelons administratifs, qui dessinent une carte complexe et changeante de “ l’extérieur ” chinois :

  • 5 régions autonomes (zizhiqu) ;

  • 31 préfectures autonomes (zizhizhou) ;

  • 96 districts autonomes (zizhixian et zizhiqi en Mongolie Intérieure)784.

Ces chiffres, valables pour la fin 1985, ne l’étaient plus en 1989, où le nombre de districts autonomes était de 110 et celui des préfectures de 30 (Hainan est élevé au rang de province en 1988). Il faut ajouter à ce compte près de 2800 cantons autonomes785 : aujourd’hui plus du quart des préfectures et 10% des districts bénéficient du statut d’autonomie.

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Figure 36 : Chine de l'extérieur : mise en place des autonomies.
[Note: Source : Ma Yin, China’s Minority Nationalities, 1989.]

La carte des autonomies nationales ne traduit pas simplement le délai de mise en place d’une politique de gestion de populations différentes sur un vaste territoire. Elle révèle plus encore une gestion particulière d’un espace dont la caractéristique majeure est d’être en position de frontière : le peuple des frontières (pien-chiang min-tsu) constitue en périphérie des 18 provinces un “ écran autour des Han ”, qui fut dans le sud constamment repoussé par la colonisation agricole de ces derniers786. Exception faite du nord-est, où le peuplement han est en contact direct avec la frontière, tous les territoires de la périphérie terrestre sont dotés d’un ou de plusieurs statuts d’autonomie.

L’essentiel de ce dispositif fut mis en place entre la fin des années 1950 et le milieu des années 1960 ; années marquées par la multiplication des autonomies dans les provinces de la périphérie et par la diffusion de cette technique dans les provinces voisines. Arrêté pendant la Révolution culturelle, le mouvement a repris au cours des années 1980, touchant avant tout le sud-ouest du pays.

Les premières créations, après celle de la Mongolie intérieure - face à un Etat inféodé à l’URSS depuis son indépendance -, concernent les provinces de Jilin, Gansu, du Sichu

an et du Yunnan, soit les régions en position de frontière avec la Corée, la Mongolie et le Tibet. Les limites avec ce dernier seront regardées comme zone-frontières jusqu’à l’établissement des autonomies dans le nord-Yunnan, date à laquelle l’appellation disparaîtra ; il en sera de même des abords du Vietnam, jusqu’à la prise du pouvoir par le Viet minh787.

La création de territoires autonomes à proximité des frontières répondait sans doute à l’origine au besoin de s’associer rapidement des populations et des territoires peu sinisés : l’APL sut s’attirer la sympathie des populations en construisant des dispensaires et des écoles, en distribuant vivres et vêtements788. La structure administrative mise en place permit en outre un contrôle plus direct des territoires depuis Beijing, par l’intermédiaire du PCC local ou de l’APL, oeuvrant par-dessus le système administratif normal. La multiplication des autonomies selon des critères de différenciation inter-ethnique très fins, passant par l’exaltation de particularismes locaux, permet en outre de réduire la taille des groupes concernés et leur possible dynamisme politique, comme de casser les liens claniques ou inter-ethniques traditionnels. Ainsi la famille tibétaine comprend aussi les moinba, les yi (lolo), les jingpo, les moso, lisu et hani, qui ont toujours été considérés comme distincts des tibétains proprement dits789.

Alors que la nationalité Han est implicitement perçue comme stable, les minorités nationales ne le sont pas : ‘“ Même la formation et le développement de chaque groupe ethnique est un constant processus d’association, de séparation et de fusion, un constant processus d’émigration et d’immigration entre les différents groupes ”’ 790. Face à ce morcellement administratif des entités ethniques, le Tibet (TAR) demeure encore unitaire ; exception qui peut s’expliquer par la forte emprise de l’APL et du PCC qui contrôlent depuis 1951 cette région et rend inutile (pour l’instant) un quelconque jeu des autonomies. Mais la distinction d’ethnies lhobas (lo pa) et Moinbas (mon pa) qui vivent dans les districts du sud-est du Tibet pourrait constituer un prélude à un nouveau morcellement administratif.

Figure 37 : Chine de l'extérieur : l’emboîtement des autonomies.

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[Note: Source : A National Economic Atlas of China, 1994, pour les différentes unités autonomes.]

Notes
784.

China's minority nationalities, Beijing, Foreign Language Press, 1989, p. 25.

785.

J.P. Cabestan avance les chiffres de 38 préfectures autonomes, 175 districts autonomes à l’occasion du recensement de 1990, op. cit., p.446.

786.

G. Moseley, op. cit., chap.I.

787.

Ibid., pp. 96-98.

788.

Id., p. 109.

789.

Voir “ Les minorités ethniques de la Chine continentale ”, Notes et Etudes Documentaires n°2639 du 27/2/1960.

790.

Bai Shouyi (dir), Précis d’histoire de Chine, Beijing, Editions en langues étrangères, 1988, p. 19.