Ce qui apparaît comme une “ ingénierie ” politique de gestion des minorités - quelles qu’en furent ou en soient les faiblesses - est aussi une des composantes de la politique chinoise de gestion des frontières et de l’étranger proche. Elle s’exprime en premier lieu par la volonté de contrôler les périphéries : les minorités nationales vivent dans des espaces ‘“ strategically important as border regions for the whole country ”’ 803.
Ce contrôle passe très clairement par la colonisation des périphéries qui, amorcée depuis le début de la RPC afin de “ haniser ” ces espaces stratégiques, répond aujourd’hui au besoin de trouver une “ nouvelle frontière ” à la croissance démographique chinoise. Toutefois, cette colonisation imposée puis encouragée par les autorités804 complique singulièrement les relations déjà conflictuelles entre le pouvoir central et les minorités : la sinisation des périphéries (5,5% de Han au Xinjiang en 1949 ; 40,2% en 1984) génère de nouvelles tensions internes qui fragilisent le contrôle de l’Etat sur les périphéries, notamment dans l’ouest et le sud-ouest de la Chine, en fait là où l’immigration han est aujourd’hui forte, mais où subsiste encore un fort pourcentage de populations minoritaires. D’autant qu’elles doivent à leur tour subir un contrôle des naissances depuis la fin des années 1980, même s’il est en théorie moins strict que pour les han : deux à trois enfants par famille805. Mais la mesure semble plus tenir au lieu qu’à la race puisque les migrants han en bénéficient aussi806.
Les périphéries sont régulièrement évoquées par les autorités chinoises comme des réserves de peuplement, ce qu’un démographe rappelait en 1981 : ‘“ Si nous estimons le potentiel migratoire vers le Xinjiang, Qinghai, Gansu et Tibet, ces provinces et régions pourraient absorber plus de 100 millions de personnes. Dès lors la migration planifiée pas-à-pas vers les régions frontières deviendra une mesure impérative dans le futur”, en ajoutant : “ Conséquence du développement économique des régions occidentales, leur capacité d’absorber un grand nombre de migrants sera extrêmement élevée”’ 807.
Ma Yin, China’s Minority Nationality, Beijing, Foreign Language Press, 1989, p. 3.
Pendant 30 ans, le hukou (livret de résidence) a été un instrument de gestion de la mobilité spatiale, autant d’ailleurs qu’un outil de contrôle social voire de répression.
J.P. Cabestan, Le système politique de la Chine Populaire, Paris, PUF, 1994, p. 450. En fait deux enfants en milieu urbain et trois en milieu rural. Si en Chine de l’intérieur, le dépassement du nombre autorisé est surtout passible d’une amende, au Tibet il est sanctionné par le refus d’accorder une carte d’alimentation au nouveau né, Tibetan Review, 8/1989.
Au moins au Xinjiang, voir BBC Broacast, 29/8/1988.
“ If we ... estimate the potential for migration to Xinjiang, Qinghai, Gansu, and Tibet, those provinces and regions could absorb more than 100 million people. Hence the planned step-by-step migration to the border regions will be an imperative measure in the future ”; “ As a result of economic development of the western areas, their capacity to absorb a large number of migrants will be extremely high ”, Sun Jingzhi, “ Economic Development: A Major Solution ”, China's Population, Beijing, 1981, éd. Liu Zhang, Song Jian.