b) Développer Les Périphéries

La colonisation han est d’autant plus difficile qu’en périphérie sont localisées des populations qui ont des caractéristiques ethniques, linguistiques et religieuses fondamentalement distinctes de celles qui contribuent à singulariser le peuplement han, autant différenciées par des critères raciaux que des pratiques socioculturelles spécifiques. Mais à l’heure actuelle, la différenciation majeure entre peuple han et peuples des frontières (bianjiang minzu) paraît surtout relever de l ’économie : ces derniers sont globalement sous-développés par rapport à la grande majorité du peuplement Han et peuvent apparaître comme les oubliés du “ miracle économique ” qui caractérise la Chine depuis le début des années 1990.

Prenant acte de l’impossibilité d’une croissance simultanée de l’arrière-pays et des zones côtières, la politique d’ouverture amorcée en 1979 a privilégié les bases économiques les plus solides, disposant des meilleurs liens avec l’extérieur. Ce passage ‘“ d’une logique administrative à une logique géo-économique ”’ 808 est responsable, au terme de seize années de réformes économiques et d’ouverture, d’une division de la Chine en trois zones (la frange côtière, le centre et le grand ouest), selon un gradient allant du dynamisme économique (l’est) à la stagnation (l’ouest), qui devait être résorbée par la diffusion progressive du dynamisme de la croissance dans le pays, d’est en ouest (yan hai, yan he, yan bian).

La réforme des finances locales de 1980 fournit en théorie les bases financières du décollage économique des périphéries : à l’exception du Jianxi et du Guizhou, les onze provinces qui peuvent conserver leurs revenus fixes et la totalité de l’impôt industriel et commercial unifié font partie des périphéries, tandis que le gouvernement leur alloue une subvention annuelle déterminée pour 5 ans et qui variait en 1985 entre 273 millions yuan (Ningxia) et 1062 millions yuan (Mongolie intérieure ; le Tibet recevant 438 millions yuan)809. Mais cette défiscalisation des provinces de la périphérie et les aides et subventions gouvernementales ne peuvent suffire à permettre le développement économique de régions où, à l’exception du Xinjiang, les infrastructures économiques manquent810.

Le décollage économique des périphéries constitue un enjeu majeur pour le gouvernement s’il souhaite fixer durablement des migrants han dans des espaces qui leur sont culturellement étrangers et où les conditions du milieu sont loin d’être favorables à une telle implantation. Afin accélérer ce processus perçu comme trop lent, il fut même envisagée de doter les périphéries de ZES, notamment au Tibet811, région autonome qui demeure mal intégré au reste de l’espace national, que ce soit du point de vue politique, institutionnel ou économique. Quels que soient les critères retenus, il est une des régions les plus pauvres de Chine, le “ tiers-monde chinois ”812.

Notes
808.

F. Gipouloux, “ L’échiquier et le marché : fractures méridiennes et dynamiques régionales en Chine ”, Etudes Asiatiques, XLIX 1, 1995, p. 132.

809.

Philippe Aguignier, “ Les disparités régionales depuis 1978 ”, Le courrier des pays de l’Est, n°298, septembre 1985, pp. 32-33.

810.

En 1983, les subsides du governement central représentaient 98% du budget du Tibet, Le monde, 10/1/1984.

811.

Les autorités régionales de la TAR envisagèrent la création prochaine d’une ZES au Tibet, La Tribune de l’Expansion, 13/5/1992, citant China Daily. Le projet semble être tombé dans l’oubli.

812.

Jean-Pierre Larivière, Pierre Sigwalt, La Chine, Paris, Masson, 1991, p. 179. La formule aurait été évoquée en 1987, à l'occasion du lancement d'un "Fonds pour le développement du Tibet".