‘“ Bienvenue ! Chaleureuse bienvenue ! Cadres de l’Intérieur ! Venez construire la frontière ”’ est le chant qui accueillit 49 cadres communistes du Shandong à leur arrivée sur l’aéroport de Lhasa861 : le socialisme ayant si peu réussi à gagner les esprits tibétains, Il semble que le gouvernement chinois ait décidé d’accélérer le transfert de populations han et de leur encadrement administratif pour conforter son contrôle des territoires tibétains.
Un transfert forcé de cadres et de techniciens accompagna l’occupation dès 1950, jusqu’à ce qu’une certaine libéralisation apparaisse à la suite de la visite que fit Hu Yaobang au Tibet au début de 1980, quand l’accent fut mis sur la formation de cadres tibétains (66%) plutôt que sur le transfert de techniciens depuis d’autres régions de Chine, et que le retrait de plusieurs milliers de cadres chinois était annoncé862. La mesure fut en fait rapidement suspendue863 et depuis le début des années 1990, les autorités favorisent l’envoi massif de techniciens chinois chargés “ d’assister ” le développement du Tibet pour qu’il enregistre une croissance économique annuelle proche de celle que connaît “ l’intérieur ” 864 .
Cette politique se démarque des précédentes en ce qu’elle affirme amorcer une dynamique d’implantation à long terme au Tibet : ‘“ Nous devons nous efforcer de maintenir les intellectuels au Tibet par n’importe quel moyen. Nous devons maintenir le système consistant à envoyer des cadres de l’intérieur au Tibet”’ 865. Elle fut présentée par Raidi, secrétaire délégué du PC du Tibet, le 5 septembre 1994 dans un discours interne destiné à commenter les décisions prises lors du ‘“ Third National Forum on Work in Tibet ”’ - tenu au Comité du parti du Tibet en juillet de la même année866 : ‘“ Nous devons appliquer une bonne méthode et prendre les mesures nous permettant de disposer d’un contingent de cadres de diverses nationalités travaillant en permanence au Tibet”’, ajoutant que ‘“ Nous devrions être prévoyants et nous efforcer d’avoir des cadres vivant et travaillant longtemps au Tibet”’ 867.
Décrite comme fondée sur le volontariat868, cette politique relève surtout d’un projet plus ambitieux de mobilisation nationale, puisqu’elle impose une contribution aux instances provinciales : ‘“ Le Comité central a réparti les tâches et les responsabilités entre les autres provinces dans un temps donné pour fournir au Tibet des personnes de tous les horizons sociaux, comme nous l’avons requis”’, ainsi d’ailleurs qu’aux universités : ‘“ Nous devrions embaucher des étudiants en décidant que leur avenir professionnel passait par le Tibet. Les universités de l’intérieur devraient embaucher ces étudiants sur leurs fonds propres ”’ 869.
Une politique complémentaire de transfert de cadres lui est associée, qui vise toutefois un personnel différent, sensiblement plus âgé, qui a déjà séjourné au Tibet mais qui ne sera pas tenu de s’y installer définitivement870 : ‘“ ceux qui ont longtemps travaillé au Tibet et qui sont remarquables devraient être choisis”’ ; ‘“ Ils ont travaillé avec une haute conscience politique et un esprit de sacrifice. Ils appliquèrent les politiques du Comité central du parti tout en surmontant toutes sortes de difficultés. Ils étaient bien disciplinés et en respectant les pratiques et coutumes traditionnelles du peuple tibétain ils eurent de bonnes relations avec les masses, et apportèrent leur contribution à l’unification des nationalités et au développement du Tibet”’ 871. En application de la mesure, les autorités chinoises annoncèrent en février 1995 qu’un millier de ‘“ brillants cadres supérieurs et de techniciens”’ de la Chine intérieure allaient être envoyés dans la TAR, afin ‘“ d’aider à accélérer [le développement de] l’économie locale et de promouvoir le progrès social”’ 872.
“ Welcome ! Warmly welcome ! Cadres from the interior ! Come to build the frontier ” , “ High Stakes ”, FEER, 22/6/1995. Ce serait en fait le premier contingent de visiteurs, Xinhua, 27/8/1996.
Hu Yaobang annonça en outre un plan en 6 points visant à révision de dispositions insatisfaisantes et inadéquates ”, Le Monde, 13/6/1980.
La mesure devait toucher 85% des fonctionnaires chinois, mais en 1984, 20 000 cadres et leurs familles (20% du personnel) avaient regagné “ l’intérieur ”, Le Monde, 10/1/1984. A l’occasion d’une réunion à Beijing en février 1984, Yin Fatang (1° secrétaire du PC du Tibet) annonça l’arrivée fin avril de 50 000 techiniciens pour 16 grands projets, Tibetan Review, 6-7/1984.
Le gouvernement tibétain en exil lie cette politique à la nomination en 1992 à la tête du PC de la TAR un nouveau secrétaire, Chen Kuiyuan, qui s’est rapidement signalé par son action de “ hanisation ” du personnel administratif de la TAR.
“ We must keep on [getting] the intellectuals to work in Tibet by any means. We must continue the system of sending cadres to Tibet from inner parts of the country ”, Document n° 5.
Le compte-rendu du discours (publié par le gouvernement tibétain en exil) fut diffusé en interne sous le nom “ Document No.5 ”. Une version expurgée, publiée le lendemain dans le “ Tibet Daily ”, omettait la section traitant de la nouvelle politique de transferts de population. Le compte-rendu des décisions du “ Troisème Forum National ”, fut publié par le TAR Communist Party Propaganda Committee sous le titre “ The Golden Bridge To Stride Into the New Century - Material to Publicise the Spirit of the Third Forum on Work in Tibet ”, TAR People’s Publishing House, octobre 1994.
“ We must practice a good method and take efficient measures to obtain a contingent of cadres from different nationalities to work in Tibet permanently ”; “ We should be far-sighted and strive to have cadres living and working long-term in Tibet ”, ibid. Deux cadres tibétains, Dondrup Namgyal et Tsering Dorje, affirmèrent lors de la session du 17 mai 1994 de la Conférence Consultative Politique qu’il n’y avait pas assez d’enseignants chinois qui demeuraient à Lhasa : “ Lots of cadres who came to help Tibet [as teachers] have gone back, and the schools are now short of intellectuals ”, mais leur proposition de former plus de cadres tibétains ne fut pas retenue.
Les déplacements forcés de populations ne sont peut être pas qu’un souvenir : selon FEER du 8/10/1992, les 2 millions de personnes qui devraient être déplacées par la construction du barrage des Trois gorges pourraient être relogées au Tibet.
“ The Central Committee has divided the tasks and responsibilities amongst other provinces within [specified] time limits to support Tibet with people from all walks of life as we requested ”; “ We should enrol students by deciding that their future professional works are [to be] in Tibet. Universities in the inner part [of China] should enrol those students at their own expense ”, “ The Golden Bridge ”, op. cit., p. 86.
“ They are generally under 45 years old and will be rotated every five years ”, Xinhua, 25/2/1995.
“ those who have worked in Tibet for a long time and who are outstanding should be selected and used ” ; “ They worked with high political consciousness and a self-sacrificing spirit. They implemented the Central Communist Party’s policies through overcoming all sorts of difficulties. They were well-disciplined and by respecting the Tibetan people’s traditional customs and habits they had a good relationship with the masses, and made their contributions to the unification of the nationalities and to the development of Tibet ”, ibid.
“ to help boost local economy and promote social progress ”, Xinhua, 25/2/1995. Des annonces similaires avaient pris place les années précédentes, mais ne concernaient que de petits contigents, d’une centaine de personnes environ.