A l’occasion du 20° anniversaire de la création de la TAR, le gouvernement annonça le lancement de programmes spéciaux de développement du Tibet comme “ cadeaux au peuple tibétain ” : 43 projets furent lancés en 1984, à destination des principales villes, mais bénéficièrent essentiellement à Lhasa. Ils concernaient en majorité la construction d'immeubles à usage commercial, de théâtres et d'hôtels (notamment le Lhasa Hotel, cogéré par la société Holiday Inn), tandis qu'une partie du budget fut affectée à la "rénovation" de la place en façade du Jokhang : destruction d'habitations “ insalubres ”, construction de bâtiments “ à la mode du Tibet ”. En 1994, 63 nouveaux projets, d’une enveloppe globale de 2,4 milliards Yuan884, furent lancés en théorie à destination de tous les districts de la TAR885.
L’ensemble de ces projets (la plupart d’ailleurs en cours de réalisation ou achevés lorsque l’annonce de leur lancement est faite) est présenté comme destiné à fournir un environnement de vie plus acceptable pour les populations886, mais ce gain en infrastructures diverses887 devrait d’abord bénéficier aux autorités politiques888, aux troupes de l’APL ou aux migrants chinois889. Ils sont destinés à constituer les bases du décollage économique de la Région, dont la quasi totalité du budget (98%) dépendait en 1984 des financements alloués par le pouvoir central, dont les transferts cumulés depuis 1951 s’élèveraient à 30 milliards de Yuan890.
Les efforts chinois entrepris depuis une quinzaine d’années semblent porter leurs fruits, puisque la production industrielle a atteint 535 millions Yuan et la production agricole 2,33 milliards Yuan en 1994, pour un PIB régional s’élevant à 4,17 milliards Yuan 891 . Mais cette croissance, en moyenne de 20% sur l’année précédente, n’est obtenue qu’avec le maintien d’un plan annuel d’investissement équivalant à la moitié du PIB.
Au travers des différentes mesures coûteuses prises par le gouvernement, l’objectif affirmé est le développement du Tibet, plus que l’intégration des tibétains : Raidi, secrétaire délégué du Parti Communiste du Tibet, affirma lors d’une conférence en mars 1994 que ‘“ L’afflux de personnes n’est pas nécessairement une mauvaise chose, et le plus important est de savoir s’il contribue au développement du Tibet”’ 892. Chen Kuiyuan, secrétaire du parti de la TAR a assuré les tibétains qu’ils profiteraient de la croissance économique, même s’ils n’en retiraient pas de bénéfices directs : ‘“ Ils ’ ‘[les tibétains]’ ‘ ne devraient pas être effrayés que des personnes de l’intérieur viennent prendre leur argent ou leur travail. Dans une économie socialiste de marché, le Tibet développe son économie et le peuple tibétain apprend à gagner de l’argent quand un chinois de l’intérieur fait fortune au Tibet. Pendant que les personnes de l’intérieur gagne de l’argent au Tibet, ils ont besoins d’endroits pour manger et dormir, et ceci élargira le marché tibétain”’ 893.
Il est clair que l’inexpérience des tibétains les cantonnerait à occuper des activités de services, mais cette branche économique - commerce de détail et services - paraît déjà confisquée par les migrants han, et accroît la marginalisation des commerçants tibétains. Selon une enquête menée en 1994 sur le marché de Tromzikhang (Lhasa) 756 commerces chinois ont été comptés, contre 305 tibétains ; à Tsetang 277 commerces (du restaurant au marchand de fruits) étaient tenus par des chinois, contre 120 par des tibétains. L’accroissement de la population a en outre favoriser le développement du maraîchage, activité de plus en plus contrôlée par les chinois : une enquête de terrain menée en 1994 dans 6 des 7 marchés aux végétaux de Lhasa recensait 739 commerçants chinois contre 112 tibétains.
C’est de fait une situation coloniale, où la population allochtone monopolise l’essentiel des emplois administratifs et domine l’activité économique, laissant dans un premier temps le secteur agricole aux mains des tibétains qui sont à 90% des ruraux894. Mais la demande croissante de produits frais suscitée par l’arrivée de migrants chinois dont l’alimentation de base est constituée par le riz et le blé tend à marginaliser les agriculteurs tibétains dont la production essentielle est l’orge895, tandis que les grands projets de développement agricole, certains soutenus par des organismes internationaux, sont destinés à l’accroissement de la production de blé896.
Soit 286 millions US$, FEER, 22/6/1995.
Mais là encore Lhasa est privilégiée, puisque un dixième des projets lui est consacré, comme la réalisation d’une route de ceinture ou l’embellissement de la ville (11 millions Yuan , entre autres pour le pavage de la place devant le Jokhang).
En plus des 43 projets d’ordre général, en 1984 furent lancés 639 projets de construction, soit _ de toutes les constructions réalisées depuis 1951, Lia Shu hsing, “ Tibet’s Economic Reforms ”, Issues & Studies, 4-6 1986, pp. 69-85.
Un des projets est l’extension du réseau téléphonique avec la construction d’un câble optique entre Lhasa et Shigatse, Xinhua, 17/2/1995, poursuivi en direction de Ningchi et de Yadong en 1996, Xinhua 31/8/1996.
Quatre exemples de projet :
- Project No. 40. Communist Party of China's (CPC) Party School and Administrative College Building of Tibet Autonomous Region;
- Project No. 44. Solar energy powered radio and TV reception station at township level;
- Project No. 54. Office Building for Tibet Autonomous Region Party committee and government;
- Project (numéro inconnu). Lhasa Long Distance Post and Telecommunication Building.
Le quart des projets de 1994 concerne la construction de centrales hydroélectriques à proximité des bases militaires, Ngawang Gyaltsen Tsona, Chinese “ Development Project’s ” in Tibet : A Tibetan Perpective, Green Tibet, Annual Newsletter 1996, GTI. Il semblerait aussi que la majorité des projets soient attribués à des sociétés d’origine militaire.
Xinhua, 25/2/1995.
Xinhua, 26/1/1995. Mais cela ne représente que 0,05% de la production totale chinoise.
“ The flow of people is not necessarily a bad thing and the most important thing is whether it is conducive to the development of Tibet ”,
“ They [les tibétains] should not be afraid that people from the hinterland are taking their money or jobs away. Under a socialist market economy, Tibet develops its economy and the Tibetan people learn the skills to earn money when a hinterlander makes money in Tibet. While people from the hinterland are doing business in Tibet, they need places to eat and sleep, and this will enlarge Tibet’s market ”, . Si les officiels tibétains de l’administration ont apporté leur soutien à cette politique migratoire, leurs interventions au cours de la conférence de juillet 1994 est apparue plus ambiguë que celle de leurs homologues chinois.
Au début des années 1980 les subventions étaient de 128US$ per capita en ville et 4,5US$ dans le monde rural, Tibetan Response to Chinese White Book on Tibet.
Les autorités tibétaines subventionnent les prix du riz et du bl é (vendus 40 et 44 fen/kg après avoir été acheté 90 et 112-122 fen/kg), mais pas ceux de l’orge, qui est vendu au prix du marché : 76 fen/kg, Rapport UNDP 1986 cité dans Tibetan Response to Chinese White Book on Tibet.
Le projet 3357 de l’ONU aurait contribué à l’implantation permanente de 130 000 agriculteurs chinois dans la vallée de Lhasa; le Projet Panam de Développement rural financé par l’Union Européenne et destiné à accroître l’autosuffisance du Tibet en blé, n’a été suspendu qu’après des sévères interpellations au sein de la Commission.