b) L ’ouverture Vers L’intérieur

Le projet du gouvernement est d’ouvrir le Tibet sur l’extérieur, dans un certain nombre de domaines, notamment le commerce avec les Etats voisins et le tourisme international. Mais dans un premier temps cette ouverture se fait surtout vers les provinces de la Chine intérieure, que le gouvernement chinois souhaiterait voir participer au décollage économique du Tibet.

Avant la dernière annonce selon laquelle d’anciens soldats seraient stationnés au Tibet, la rupture majeure dans la politique migratoire fut la décision prise en 1992 d’accélérer l’implantation de petites entreprises depuis le reste de la Chine, justifiée par le sentiment que les tibétains n’avaient pas le talent nécessaire à diriger une boutique ou une “ road-side stall ”. Ce mouvement d’entrepreneurs est facilité par la suppression des restrictions de mouvements entre les provinces (la suppression des postes de contrôle sur les routes menant au Tibet fut annoncée en décembre 1992) et la mise en place de mesures favorisant le démarrage de petites entreprises en offrant ‘“ many preferential policies ”’ qui encouragerait la création de liens avec d’autres régions de Chine897. La politique a été réaffirmée lors du 3° forum national ‘“ L’idée maîtresse de l’ouverture du Tibet est que cela se fasse à destination de l’intérieur du pays. [...] Nous devrions encourager les commerçants, investisseurs, unités économiques et individus à s’installer dans notre région pour y implanter toutes sortes d’entreprises”’ 898. Chen Kuiyuan annonça le 28 novembre 1994 que : ‘“ Toutes les régions devraient avoir l’esprit ouvert et faire bon accueil à l’ouverture de différents restaurants ou magasins par des personnes de l’intérieur” ’ 899.

En fait, l’annonce de l’ouverture du Tibet vers l’extérieur doit d’abord être comprise comme l’intégration du Tibet dans le système économique chinois : au début de 1994, le comité du parti du Tibet et le gouvernement ont proclamé une réforme en sept points tendant à appliquer au Tibet ‘“ le même cadre économique que dans le reste du pays et rejoindre la même structure que le reste du pays”’ 900. De fait le montant des investissements étrangers, autorisés au Tibet à partir de 1992, demeure très faible au regard des flux de capitaux à destination des autres provinces chinoises : en 1994, les investissements approuvés atteignaient 21,1 millions US$901, soit 0,02% des investissements directs étrangers de cette année là902.

Si la Région a ouvert des “ ports de commerce ”903 à Zham et Burang904, afin de faciliter les échanges avec l’Inde, le Népal et le Bhoutan, le gouvernement de Beijing compte essentiellement sur le tourisme pour accroître ses revenus étrangers905. Autorisé depuis le début des années 1980, le tourisme étranger (300 touristes en 1980, 2000 en 1984 et 28 000 en 1994906) aurait rapporté environ 21 millions US$ en 1994 et 11,3 millions US$ en 1995907. Cette activité, qui fait fonctionner 108 commerces, dont 42 agences de tourisme et 38 hôtels908, échappe largement aux Tibétains : Après une période libérale où le tourisme individuel fut autorisé (jusqu’en 1987), favorisant l’émergence de commerces et hôtels tenus par des tibétains909, le gouvernement a décidé de ne plus autoriser qu’un tourisme de groupes, entraînant la fermeture de la plupart des hôtels et restaurants tibétains910 (mais remplissant le Lhasa Hotel), ainsi qu’une hausse de la plupart des prestations touristiques911.

Des projets touristiques ambitieux sont lancés, comme celui d’un complexe où les touristes pourront ‘“ découvrir la saveur ethnique du Tibet sans même mettre un pied dehors”’ 912. Encore faudra-t-il que les touristes, chinois ou étrangers, se contentent de cette parodie de découverte.

Notes
897.

Radio Tibet 28/11/1995. Des liens avec 14 villes ou provinces chinoises auraint été noués, mais ils consistent surtout en l’envoi de techniciens et d’experts, Xinhua 25/2/1995.

898.

“ The focal point in Tibet to open the door wider should be towards the inner part of the country. [...] We should encourage traders, investments, economic units and individuals to enter our region to run different sorts of enterprises ”, Document No. 5.

899.

“ All localities should have an open mind and welcome the opening of various restaurants and stores by people from the hinterland ”, Discour prononcé à Drayab (Chamdo).

900.

“ the same economic framework as that in the rest of the country and link up with the rest of the country in structure ”, Radio Tibet, 16/1/1995.

901.

FEER, 22/6/1995. Une ambiguïté persiste sur l’origine géographique des investissements : viennent-ils de l’étranger, de Hong-Kong ou de Chine? Radio Tibet annonçait pour 1994 un montant inférieur : 10,5 millions US$ provenant de “ foreign-funded enterprises ”, Tibet Radio, 15/1/1995.

902.

JETRO White Paper on Foreign Direct Investment 1996, Tokyo, JETRO, 1996, p. 12.

903.

Xinhua, 1995. Le port de commerce n’est pas l’équivalent terrestre de la zone économique spéciale côtière : il ne dispose pas de la même défiscalisation. C’est avant tout une “ ville ouverte ”, c’est à dire où les relations commerciales et les investissements étrangers sont autorisés, Anne Godron, “ le bassin de l’Amour : une nouvelle zone de coopération entre la Chine et la Russie ”, courrier des pays de l’Est, n°406 2/1996, pp. 65-72, p69.

904.

Un troisième port pourrait être ouvert avant la fin de la décennie à Yadong.

905.

En 1992, le Tibet présentait un déficit important de ces échanges avec l’étranger (notamment Japon, Hong-Kong, USA): la balance commerciale était déficitaire de 45 millions US$, Economie Chinoise par Province, Tokyo, Association japonaise d’incitation au commerce international, 1994, p. 140. Le déséquilibre commercial avec le reste de la Chine ne nous est pas connu.

906.

Radio Tibet, 15/1/1995.

907.

Pour 30 000 visiteurs, Xinhua 12/4/1996.

908.

Quinze hôtels 2 étoiles auraient été ouverts pour la seule année 1994, FEER, 22/6/1995.

909.

Et ayant implicitement la préférence des touristes occidentaux, engrangeant ainsi des revenus en devises échappant largement au contrôle du gouvernement.

910.

La majorité des entreprises touristiques montées par les tibétains, sans accès aisé au crédit (faute de cautionnement), ont été fermées par les autorités qui jugeaient trop mauvaise la qualité de leurs prestations.

911.

Informations voyageur 8/1996; TIN, 5/8/1996.

912.

“ experience Tibet’s ethnic flavour without ever setting foot outside ” : un complexe touristique de 1400 ha construit au pied du Potala pour un montant de 900 millions Yuan, FEER, 22/6/1995. Sont également prévus un parc d’attraction, un hôtel 5 étoiles et un casino.