Leur localisation en position de “ frontier ” avait largement écarté les populations d’altitude du développement économique qui s’opérait en Inde britannique, en raison surtout de leur enclavement : les collines furent avant tout pour les Britanniques des lieux de repos (hill stations, sanatoria) ou de replis de la capitale à la période de mousson : Darjeeling pour Calcutta, puis Simla pour Delhi938; plus haut, la seule activité britannique fut d’administrer - souvent à distance, depuis les collines - ces territoires frontaliers939. Les priorités affichées à l'indépendance d’achever l’unité nationale et de construire l’économie ont accru l’écart de ces régions en position de frontière au reste du territoire national; elles devinrent des périphéries, des “ backward areas ” 940. Conséquence des affrontements sino-indiens mais aussi du processus d’intégration administrative et politique du Tibet à la RPC, la frontière sino-indienne fut, ainsi que celles qui séparent la Chine des autres Etats d’Asie du sud, fermée - fermeture longue dans le cas de l’Inde, fermeture courte pour les autres - affectant les échanges transhimalayens sur lesquels reposait l’économie des centres urbains des collines, comme Katmandou ou Thimpu.
Après la signature d’accords frontaliers, la réouverture partielle de la frontière - d’abord au Népal, puis au Bhutan - (un nombre limité de points de passage fut autorisé) favorisa certains axes, en général les anciens axes caravaniers majeurs, pénétrantes de moindre difficulté, au détriment des axes secondaires. Elle occasionna ainsi la rupture des flux d’échanges entre communautés d’altitude et, s’inscrivant en outre dans un processus de mutation des formes du commerce (principalement par la monétarisation accélérée des échanges), contribua à renforcer l’isolement de ces communautés, faute de capitaux locaux mobilisables. Si cette dynamique de changement est à l’oeuvre dans les autres Etats himalayens du sud, en Inde elle n’est guère amorcée, mais le processus de différenciation entre les collines et la montagne l’est par contre en raison des conditions spécifiques née d’une présence militaire forte à proximité des frontières chinoise et pakistanaise.
Cette dynamique économique concoure à introduire une différenciation spatiale au sein de ces anciennes “ frontiers ”, à les éclater en deux, voire trois sous-espaces : les régions des collines, qui tendent à s’intégrer aux plaines proches; les régions d’altitude en position de périphéries et l’étroite zone frontière. Dans ces périphéries himalayennes, deux tendances sont à l’oeuvre, une normalisation administrative des territoires à proximité des frontières - qui passe par la suppression des régimes spécifiques mis en place par les Britanniques ou des traditions politiques locales antérieures -, et une crise de développement, accrue par le maintien dans ces régions de montagnes d’un dispositif militaire fort.
Ainsi que Dehra Dun et McLeod-Ganj (Dharamsala-le-haut), où réside désormais le gouvernement tibétain en exil. Deshpande, p. 275.
Les Britanniques en charge des territoires d’altitude déléguèrent en général leurs pouvoirs aux instances traditionnelles locales : le Lahul & Spiti n’eut pas d’administration sur place avant 1960 et c’est un missionnaire morave qui y exerçait la fonction de postier, S. C. Bajpai, Lahaul-Spiti, A Forbidden Land in the Himalayas, New Delhi, Indus, 1987, pp. 120-126.
Siginificative est l’inscription qu’arborent fièrement les camionneurs détenteurs du “ all India’s permit ” qui les autorisent à circuler dans tous les Etats indiens : From Srinagar to Kanyakumari ”.