La présence, au sein de cette “ unité géographique ” qu’est l’Inde, d’une multitude de langues, ethnies, religions et régions, que résumait le vocable “ les Indes ” justifiât, dans la dernière constitution votée par le parlement britannique, le Government of India Act de 1935, l’insertion d’une section intitulée “ La Fédération de l’Inde ” afin d’uniformiser les statuts des différentes entités politiques dans le cadre de l’ensemble indien en transformant l’Inde en une Fédération de onze provinces dotées chacune d’un gouvernement provincial941. Combattue alors en Angleterre par Churchill et en Inde par le parti du Congrès et la Ligue musulmane, l’option fédérale fut pourtant retenue comme trame de la Constitution de l’Inde indépendante, entrée en vigueur le 26 janvier 1950. L’Inde y est définie comme ‘“ une union d’Etats, [...] que le peuple de l’Inde a solennellement résolu de constituer en république ”’ (article 1)942.
La cohésion interne du pays repose aussi sur une définition du peuple de l’Inde comme somme d’individus plutôt que de communautés ethniques ou religieuses : l’Etat est avant tout laïc943. La diversité ethnique ou religieuse n’est pas abordée, mais les inégalités qu’elle peut engendrer sont prises en compte dans la Constitution ou ses amendements, sous forme de “ discrimination positive ”944. La laïcité comme l’unité de la nation devaient être confortées par le choix du hindi en remplacement de l’anglais comme langue officielle à la fin d’un moratoire de 15 ans. Mais à partir de 1953 s’esquissa un redécoupage administratif sur une base linguistique, qui dura jusqu’en 1966, et aboutit à une nouvelle carte administrative de l’Inde, composée de 14 Etats et de 8 territoires de l’Union945. L’affirmation identitaire régionale de cette période a affecté les limites administratives des Etats, qui ont ainsi acquis ‘“ beaucoup de caractères de l’Etat-nation ”’ 946.
La primauté implicite de l’Union face aux Etats est une des clés de la construction politique indienne, d’un Etat dit fédéral mais où l’essentiel du pouvoir politique demeure encore entre les mains du “ Centre ”947, même si les réformes économiques engagées en 1991 devraient à terme fournir aux Etats une certaine liberté, au moins dans la gestion de leurs revenus. Cette ‘“ subordination irrémédiable des Etats ”’ est d’autant plus forte qu’aucune structure ne favorise encore dans la pratique la concertation entre les Etats948. Le gouvernement central dispose en outre d’un certain nombre d’instruments constitutionnels qui lui permettent d’imposer sa volonté, autant que de maintenir la cohésion du pays, perçue comme fragile en l’absence d’un pouvoir central fort :
Le plus important, puisqu’il concerne la gestion de la politique intérieure des Etats, est l’article 356.1, qui permet l’exercice du “ President’s rule ”, soit la substitution du gouvernement central au gouvernement d’un Etat en cas d’incapacité de ce dernier à remplir sa fonction. Ce mécanisme de prise en main d’un gouvernement d’Etat par le pouvoir central, valable pour une période de 6 mois, s’est banalisé : on a recensé 90 recours à l’article en trente ans949.
Une seconde mesure concerne, elle, l’entier Territoire de l’Union, lorsque la sécurité de l’Inde est considérée comme menacée : l’état d’exception grave (serious emergency, art. 352.1) ; appliquée à l’occasion des guerres sino-indienne de 1962 (maintenu jusqu’en 1968) et indo-pakistanaise de 1971, ainsi que de juin 1975 à mars 1977950.
Une dernière mesure, plus limitée dans ses effets, est la “ Governor’s rule ” qui suspend l’action de l’assemblée de l’Etat au bénéfice de son gouverneur 951 .
Ces formes d’intervention “ exceptionnelles ” du pouvoir central sur les Etats, soit directement, soit par le biais du Gouverneur, viennent en fait compléter un dispositif permettant à certains Etats ou à certaines portions d’Etats ou de leurs populations d’échapper à la règle commune et à disposer d’une relative autonomie vis à vis du pouvoir politique et économique des Etats. Ainsi l’existence des populations tribales est reconnue par l’article 341, qui établit la classification de “ Scheduled Tribes ”952 et leur octroie un certain nombre de “ places réservées ”, à l’entrée dans les universités, ainsi que dans la fonction publique et dans le parlement national (à la Lok Sabha et au Rajya Sabha : 7%) et dans ceux des Etats (au même titre que les harijans)953. La constitution prévoit aussi l’existence de “ Scheduled Areas ” dont l’administration est sous la surveillance du gouverneur de l’Etat qui peut imposer (Fifth Schedule, B-5) par notification directe que tout ou partie de loi votée par le parlement de l’Union ou de l’Etat n’est pas applicable dans la zone. Enfin, une législation spécifique s’applique au Jammu & Kashmir (art. 370), aux Etat du Nord-Est ainsi qu’au Sikkim. L’accumulation de statuts institutionnels spécifiques dessine en fait clairement une Inde du nord qui est déjà singularisée par des statuts linguistique et administratifs particuliers.
Il venait en fait compléter le Government of India Act de 1919, qui accordait déja une certaine autonomie aux gouvernements des provinces.
Le choix du terme “ union ” plutôt que celui de “ fédération ” fut délibéré en 1950, mais sous l’influence des réformes économiques entreprises depuis 1991, il est remis en cause par certains partis politiques, notamment le Parti Communiste.
Il est Secularist, selon le discour officiel, et s'oppose au communalisme, terme qui désigne l’ensemble des pratiques politiques faisant explicitement référence à des discriminations basées sur la caste ou la religion (le revivalisme sert à caractériser la remise en cause du secularisme). Les adversaires de la laïcité arguent que la Partition a de fait rendu caduc le terme, en sanctionnant la naissance de deux Etats différenciés par la religion.
C’est, dans le cadre national, une lutte contre la ségrégation sociale dont souffrent les intouchables (renommés harijans ; art.17) qui représentent quelque 110 millions de personnes.
Les territoires de l'Union n'ont pas la même liberté politique que les Etats fédérés : ils sont plus directement assujettis au Centre.
Jean Alphonse Bernard, op. cit., p. 93.
Le Centre, c'est à dire les instances du pouvoir central. Les Etats fédérés ont, comparés à d’autres systèmes de type fédéral, peu de pouvoir : l'ordre public, la gestion des collectivités locales, la santé publique et les questions ayant trait à l'agriculture, pour les principales (article 256 et annexe 7, liste II et III ). Les ressources des Etats dépendent des impôts sur la terre et sur le revenu agricole, quand ils sont levés. En fait, les besoins des Etats sont en pratique couverts par le "Centre", au travers de prêts, d'aides, et de tirages sur la banque centrale (qui représentent 20% à 30% des ressources du Centre). Notons enfin que si les assemblées parlementaires des Etats sont élues au suffrage universel, le gouverneur est nommé par le président de la république.
En théorie les organes de concertation existent, comme le Inter-states Council (art.263), le State Reorganisation Act (1956) ou le National Economic Development Council (1952), mais ils sont plus ou moins restés jusqu'à présent lettre morte.
Christophe Jaffrelot (dir.), L’Inde contemporaine, Paris, Fayard, 1996, p. 204. C’est un moyen pour le Centre de faire chuter un gouvernement d’Etat qui ne lui serait pas favorable.
Il existe son pendant économique : l’état d’urgence financier (financial emergency, art. 360). Cet article n’a par contre jamais été invoqué, même dans le cas d’Etats en banqueroute, comme le J&K le fut à plusieurs reprises.
Selon J.A. Bernard, op. cit., p. 89. Le gouvernement des Etats est constitué par un Gouverneur, disposant du pouvoir exécutif et nommé par le Président de la République (en fait le Premier Ministre), un Chief Minister et une, voire deux Assemblées. L’article 174 permet en fait de dissoudre ou de maintenir l’Assemblée législative, en théorie sur avis du Chief Minister, mais en pratique selon l’avis du Premier Ministre.
Soit 67 800 000 personnes au recensement de 1991, représentant 8,1% de la population.
Ce fut un des premiers amendements de la Constitution, voté en 1951. Le gouvernement central a créé une Commission for Scheduled Castes and Tribes, qui publie un rapport annuel. En fait, le principe de réservation des sièges - qui existe aussi au Pakistan -, remonte à la réforme Morley-Minto, soit l'India Councils Act de 1909.