c) Le Tourisme

Si on observe une tendance récente à la réduction des “ enclaves militaires ”, les gouvernements conservent par contre d’autres modes de gestion des territoires par les flux touristiques, selon leurs pratiques administratives ou économiques, qu’ils justifient non plus seulement pour des raisons de sécurité militaire, mais aussi comme moyen de préserver la culture et l’intégrité des communautés d’altitude998, ou la qualité de certains milieux écologiques999. A une différenciation spatiale implicite des régions concernées selon leur degré d’équipement routier ou hôtelier, s’ajoute une différenciation spatiale explicite, par la mise en place de critères sélectifs d’accès aux zones frontalières, par l’octroi de “ trekking permits ”, dont le coût dépend de la destination. Gratuit en Inde, il dépend au Népal de la destination : de 70 US$ par jour (pour 10 jours minimum) pour le Mustang à 90 US$ par semaine pour Humla et Manaslu, avec parfois l’obligation de louer les services d’un “ environmental officer ”1000. Les restrictions, contraintes et tarifs sont plus élevés dès lors qu’il s’agit d’alpinisme: à titre d’exemple, l’ascension de l’Everest par le col sud coûte 70 000 US$ pour une expédition de 7 personnes; celle du K2 9000 US$, celle du Nun Kun 2815 US$1001.

Les régions himalayennes sont devenues depuis une vingtaine d’années des destinations touristiques privilégiées pour les occidentaux, mais aussi - et en nombre croissant - les Indiens1002. Le tourisme s’affirme comme un des modes de l’intégration accélérée des populations et des territoires de la périphérie montagneuse : au Ladakh1003, mais aussi depuis peu au Tibet, l’impulsion donnée au tourisme laisse à penser que les gouvernements centraux désirent utiliser ce dernier comme instrument d’acculturation.

année indiens étrangers Indiens
s/total
total
1974 25 500 4,7 525
1985 6 600 12 255 34,9 18 911
1986 3 586 12 825 21,8 16 411
1987 n. d. n. d. n. d. n. d.
1988 8 608 16 256 34,6 24 864
1989 6 669 16 079 29,3 22 748
1990 396 6 342 5,8 6 738

Au Ladakh, la fréquentation touristique est croissante depuis 1974 (date de l’ouverture de la région au tourisme), même si elle connaît depuis plusieurs années un fort tassement en raison de la situation insurrectionnelle qui règne au Cachemire. Les touristes étrangers représentent 80% du nombre total de visiteurs, mais leur part n’a cessé de décroître au profit des indiens qui véhiculent une image de la modernité plus accessible aux bourses des ladakhis.

Mais quelle que soit le modèle retenu par les populations d’altitude, la fréquentation touristique remet implicitement en cause les pratiques locales, tant sociales que religieuses : le touriste apparaît, non pas comme le moteur de l’acculturation de cette société (rôle que paraissent tenir l’armée et l’administration), mais le catalyseur de ce changement1005.

Notes
998.

Explicite au Bhoutan : "pour ne pas porter atteinte à une société traditionnelle" (Le Monde, 16/8/1984); elle l'est moins au Népal, où le gouvernement laisse aussi agir les organisations non gouvernementales, comme l’Annapurna Conservation Area Project (ACAP) qui, depuis 1984, tente de mener des actions de développement touristique intégré dans les villages tout en cherchant à préserver un milieu fragile qui est la principale destination de trek des touristes occidentaux.

999.

Ainsi la Nepal Nature Conservation Society fait régulièrement pression sur le gouvernement népalais pour réduire le nombre de zones ouvertes au tourisme.

1000.

Soit un policier népalais qu’il faut en outre équiper et nourrir. Les montants correspondent seulement à l’autorisation d’ascencion et ne comprennent pas les assurances obligatoires - très élevées en raison des coûts de sauvetage dans ces régions - .

1001.

Voir le guide des ascencions lointaines, édité par l’Union Internationale des Associations d’Alpinistes (UIAA).

1002.

Six Mountaineering Institutes ont même été créés, au Mt Abu, à Gulmarg, Manali, Uttarkashi, Gangtok et Darjeeling (le plus ancien, fondé en 1954) pour les initier à l’alpinisme, tandis qu’on recense un peu plus de 200 clubs d’alpinisme à travers le pays.

1003.

Voir paragraphe suivant.

1005.

Ainsi, certaines fêtes religieuses qui se déroulaient en plein hiver, parce que le travail agricole était achevé, sont désormais organisées en plein été, pour offrir des spectacles attractifs aux toursites. Sur les mutations à l’oeuvre, voir Prem Singh Jina “ Impact of Tourism on Ladakhi Society and Culture ”, K.Warido (éd.), Society and Culture in the Himalayas, Delhi, Har-Anand Pub., 1995, pp. 232-247.