On serait tenté de faire coïncider au Siachen enjeux géostratégiques et enjeux géopolitiques tant les deux pays s’appliquent à maintenir le confit dans des dimensions militaires. Pourtant, derrière la sécurité que recherchent les deux belligérants se cachent des perceptions divergentes de la région en question, construites sur des situations socio-économiques locales différentes :
S’il doit faire face à des problèmes de communalisme dans la plaine de l’Indus, le gouvernement pakistanais n’a pas de différend avec les populations de l’Azad Kashmir et le Baltistan est une région comparativement calme1042. Coincé entre l’Afghanistan et l’Inde, le pays a fait de l’Azad Kashmir un lien privilégié avec son allié le plus sûr : la Chine. Le lien physique que représente la KKH est certes fragile, mais il favorise des échanges économiques croissant entre les deux pays.
Le J&K est pour le gouvernement central de Delhi un état mal intégré à l’Union Indienne, opinion que partagent les hindouistes du BJP, pour lesquels le maintien de l’article 370 est une atteinte à la souveraineté et à l’intégrité de l’Etat indien. Le Ladakh, dont le Siachen forme la pointe nord, 1043.
Bloqué dans cette situation endémique, le gouvernement indien n’a pas semble-t’il formulé de réel “ projet ” pour cette portion de l’Himalaya et paraît l’avoir réduit à une vision d’une frontière poreuse qu’il faut tenir face à la Chine et d’un territoire contesté qu’il faut conserver face au Pakistan1044. Des deux adversaires, l’Inde a certainement le plus à perdre dans une solution négociée du conflit : en plus de la perte d’une position militaire dominante, une démilitarisation de la zone des combats fragiliserait sa position au J&K. C’est pourtant vers cette solution que les négociateurs des deux pays semblent s’acheminer, en envisageant un dispositif original : les troupes indiennes sont prêtes à se retirer en contrebas de la chaîne du Saltoro, dès lors que le gouvernement pakistanais la reconnaît comme “ ligne de front effective ” (actual ground position line), laissant entre les deux armées tout l’épaisseur du massif du Saltoro. Si elle ne change pas grand chose sur le terrain, du moment que les Pakistanais respectent leur engagement, la réalisation de la proposition peut permettre que se mette en place un climat de confiance entre les deux Etats, amorce d’une négociation non seulement sur le Siachen, mais plus encore sur le Cachemire.
Ce conflit, quelle qu’en soit la conclusion, aura permis aux deux adversaires de comprendre la place qu’occupe la zone himalayenne dans leur pays. Ce n’est pas par hasard si l’armée indienne envoie à tour de rôle toutes ses unités sur le Siachen : la “ glacier pin ”, plus qu’une distinction recherchée au sein du corps militaire indien, est le symbole de la reconnaissance “ nationale ” de ces territoires isolés.
Le calme est relatif : des affrontements opposent régulièrement les populations locales aux migrants. La classe politique de l’AK tend à remettre en cause la séparation entre AK et FATA que le gouvernement pakistanais cherche au contraire à confirmer en dotant les FATA de nouvelles juridictions. Voir Times of India, 19/5/1994.
Un article de la Saudi Gazette du 11/11/1991 titrait : “ Ladakh Going Kashmir Way? ”.
Un article intitulé “ The Other Kashmir - an Antithesis of The Paradise ”, après avoir montré le sous-développement de l’AK par rapport au J&K, concluait ironiquement : “ it is obvious why they [les habitants de l’AK] want Kashmir; what is less apparent is why Mr.Narasimha Roa wants it ”, Pioneer, 30/11/1994.