Avec une superficie de 58 321 km2, le territoire du Ladakh est plus vaste que le Jammu et le Kashmir réunis1045 ; sa population n’est que de 135 000 habitants, soit une densité moyenne de 2 hab./km2, alors que la moyenne de l’Etat est de 461046. Le district du Ladakh est subdivisé en 1978 en deux tehsil - de Kargil et de Leh -, élevés en 1979 au rang de districts. Ce nouveau découpage administratif, s’il fut perçu comme une manoeuvre politique du gouvernement du J&K pour se concilier les populations chiites de la région de Kargil, sanctionne aussi la croissance démographique forte d’une région à population majoritairement musulmane1047, tandis que dans le reste du territoire, la religion bouddhiste domine.
La vie commune avait généré peu de troubles entre les communautés, en raison de leur cloisonnement spatial, préservé par un désenclavement très saisonnier. Depuis une quinzaine d’années, toutefois, les incidents se multiplient :
en 1980, à l’occasion de la visite du Dalai Lama à Padum une fusillade fait, lors de l’intervention de la Kashmir Armed Police, près 151 victimes1048.
en 1989, pendant la période du 6 au 12 juillet, puis en octobre, des affrontements inter-religieux firent une trentaine de blessés des deux cotés ; le couvre feu fut instauré pendant plus d’un mois 1049;
des troubles ont régulièrement éclaté au pays des cols en 1990, 1992, 1993, puis en 1994 1050.
Mais plus que l’expression de tensions à caractère religieux, ces affrontements épisodiques sont révélateurs d’un véritable malaise social, comme le suggère la création en 1993 du Coordination Committee for Leh Autonomous Council par l’alliance entre la Ladakhi Buddhist Association et la Muslim Ladakhi Association. Ils s’expriment d’abord en réaction à la monopolisation du tourisme par des voyagistes ou hôteliers cachemiri, avec l’accord tacite d’agences officielles1051, à l’omniprésence de ces “ étrangers ” : ‘“ Au Ladakh, il y a l’armée, les touristes, les cachemiri... et les ladakhi ! ”’ 1052.
Le principal objet de révolte de la population est la difficulté que les ladakhi ont à prendre part à la vie sociale et politique de l’Etat au travers de ce qui est ressenti comme un blocage institutionnel du gouvernement de J&K : allocation de crédits, admission à des niveaux supérieurs d’étude, institutions, accession à des postes de la fonction publique1053, mais surtout l’action politique : le Ladakh ne dispose que de deux siège à l’assemblée de l’Etat, alors que le Cachemire en détient 42 et le Jammu 321054.
Le jeu politique est en outre compliqué par le caractère d’exception qui frappe l’Etat de J&K : l’insurrection au Kashmir et sur les hauteurs du Jammu a fait chuter le nombre de touristes au Ladakh : de 19 000 en 1989, il est tombé à 6700 en 1990 1055. Mais l’attitude du gouvernement central contribue aussi à marginaliser les Ladakhi : en 1986 un Special Assistance Programme de 179, 7 crores Rs. fut lancé : la vallée en reçut 83%, et le Ladakh 12%. Depuis leur accession à l’Inde, les Ladakhi sont déchirés entre deux désirs, le rapprochement avec l’Inde - soit son gouvernement central (mieux vaut un maître lointain qu’un despote trop proche) - et l’intégration à la vie politique cachemiri ; encore faut-il que le gouvernement central l’accepte. Les manifestations de 1989 avaient comme objet l’élévation du Ladakh au rang de Union Territory, revendication régulièrement formulée auprès du gouvernement central, et régulièrement rejeté par ce dernier1056. Elles furent récompensées par la signature d’un accord tripartite sur l’octroi d’un autonomous hill council, sur le modèle du Darjeeling Hill Council. Mais, et malgré un nouvel accord signé en octobre 1993, le statut n’était toujours pas entré en vigueur 6 ans après sa signature parce que ‘“ l’octroi d’une autonomie au Ladakh risque de heurter la psyché du Cachemire et se révéler nuisible aux intérêts du peuple déchiré de la Vallée ’ ‘[de Srinagar]’ ‘ ”’ 1057. Le statut est finalement octroyé au printemps de 1997, après que le nouveau Chief Minister du J&K, Farook Abdullah ait été assuré que l’autonomie de l’Etat serait maintenue1058. La préservation, par les gouvernements indiens successifs de l’article 370 de la Constitution, relatif au ‘“ Temporary provisions with respect to the State of Jammu and Kashmir ”’ confirme leur volonté de conserver le Cachemire1059. Mais ce n’est pas le refus du pouvoir central d’octroyer aux Ladakhi le statut d’Union Territory qui fera oublier à la population cachemiri le référendum d’autodétermination promis en 1949 ou la plus actuelle corruption qui sévit au sein du gouvernement du J&K1060.
Pourtant la volonté d’ancrer la région au territoire national ne peut pas se limiter à réunir administrativement à une nation des communautés généralement méprisées par les populations de la plaine ou de la “ vallée ”, des peuples qui vivent dans un environnement ‘“ sans eau et sans arbre ”’ 1061, d’autant plus qu’ils occupent des territoires considérés comme hautement stratégiques pour la défense du pays. Parce que la question ladakhi apparaît étroitement liée à l’évolution de la situation politique qui règne au Cachemire1062, la reconnaissance comme la prise en compte de la spécificité ladakhi devra attendre la normalisation du statut de l’Etat, pour lequel l’actuel gouvernement indien envisage plusieurs hypothèses de règlement : un condominium indo-pakistanais sur l’Etat, ou un référendum qui ne concernerait pas seulement la vallée de Srinagar, mais aussi le Jammu, le Ladakh, l’Azad Kashmir et les territoires du nord; toutes solutions auxquelles le gouvernement pakistanais semble opposé à l’été 1997.
La superficie officielle du Ladakh est de 96701 km2, incluant les FATA, les territoires considérés comme cédés à la Chine à la suite du traité de frontière sino-pakistanais et l’Aksai Chin.
Ministry of Information and Broadcasting, India 1993, New Delhi, Research and Reference Division, 1994.
La densité moyenne du district est de 4 hab/km2, mais les deux tiers de la superficie sont peuplés d’une population en majorité bouddhiste : le Zanskar.
Le gouvernement du Jammu & Kashmir avait installé un groupe électrogène à Padum pour rendre plus confortable la visite du Dalaï Lama et, voulant le récupérer par la suite, s'est heurté au refus de la population locale.
les touristes furent évacués par convois militaires gardés à travers une vallée du Kashmir, elle même en ébulition
Les violences qui ont éclaté au Zanskar à l’été 1995 relèvent d’une autre logique, du refus de l’invasion touristique surtout.
Les "Tour operators" à qui s'adressent les touristes à Srinagar emportent bien souvent, dans leurs circuits ladakhi, toute la nourriture et la boisson nécessaires à leur séjour.
Plaisanterie ironique qui courrait sur les lèvres des Ladakhi.
Sur les 250 000 fonctionnaires de l’Etat, il n’y a que 2900 ladakhis, soit 1,1%, pour 2,2% de la population totale.
Les sièges sont en théorie alloués au prorata de la population, mais les Ladakhis demandent que le territoire soit aussi pris en compte.
Saudi Gazette, 11/11/91, relayée par le Hindu.
Des demandes similaires avaient été faites en 1952, 1974 et 1982. L’ironie est que trois commissions successives (commission Gajendragadkar en 1967, commission Sikri en 1979 et commission Wazir en 1980) avaient conclu à la nécessité d’octroyer une plus grande autonomie au Ladakh.
“ the grant of autonomy to Ladakh will hurt the Kashmir psyche and prove detrimental to the interests of the trouble-torn people of the Valley ”, Hindu 30/3/1995.
C’est à dire que le cadre proposé par Narashima Rao à la veille des élections législatives de l’été 1996 serait respecté soit pour l’essentiel le maintien de l’article 370 (PTI, 4/11/1995).
Le parlement indien adopta le 12/2/1994 une résolution affirmant que “ The state of J&K is an integral part of India ”. Le Bulletin de la Reserve Bank of India (10/1994) soulignait que l’assistance centrale par habitant pour l’année fiscale 1993-94 s’élevait à 2291 Rs pour le J&K contre 192 pour le Bihar. En outre, 90% de l’assistance était sous forme de subventions et 10% sous forme de prêts, alors qu’elle est ailleurs constituée pour 70% de prêts et pour 30% de subventions.
Le ralliement d'une fraction de la population cachemiri à la bannière du Kashmir Liberation Front (KLF) ainsi que les troubles qui ont débuté au printemps 1989 dans la vallée de Srinagar marquaient plus un rejet du gouvernement de Farooq Abdullah et de la misère endémique qu'une volonté de rattachement au Pakistan. Mais, paradoxalement, c’est ce même Farooq Abdullah, vilipendé il y a 7 ans, qui a remporté avec sa formation la Conférence Nationale en 1996 les premières élections libres depuis 1987.
Selon une expression très souvent entendue auprès des voyagistes de la vallée du Cachemire; la région est certes belle, mais de loin.
Dans une interview Farooq Abdullah rappellait en 1994 que pour lui le Cachemire ne concernait pas seulement la vallée de Srinagar, mais la totalité de l’Etat de J&K, F. Abdullah, “ Autonomy : Key to Resolution of Kashmir Conflict ”, Journal of Peace Studies, New Delhi, vol. 1, jan-feb 1994, pp. 73-80.