Les Indiens ont intégré la majeure partie de l’héritage britannique, de localisation géostratégique (n’ont-ils pas conservé jusqu’au mot Inde1065 ?) ainsi que les techniques de gestion des périphéries. Ils ont toutefois révisé certains concepts, comme celui de sous-continent : ‘“ L’emploi du terme sous-continent pour désigner l’Inde est mal approprié et un héritage de l’administration britannique ; ce terme n’a jamais été employé pour désigner des unités géographiques plus vastes et plus variées comme la Chine et l’URSS ”’ 1066.
Ce changement exprime la volonté de démarquer l’Inde indépendante de son passé colonial ; il est aussi justifié par la nécessité de tenir compte de la nouvelle réalité géopolitique de la région, qui est marquée d’abord par la “ Partition ”, corollaire imposé de l’indépendance. Perçue comme un échec puisque morcelant de fait l’héritage territorial britannique, la naissance partagée de l’Inde et du Pakistan a entraîné la “ réactivation ” d’un concept de substitution, celui d’Asie du sud, qui est compris comme une ‘“ unité géographique et géopolitique parfaitement définie ”’ 1067, permettant en outre de réintégrer, à l’occasion, la Birmanie avec laquelle l’Inde comme le Bangladesh ont une frontière commune et conflictuelle1068.
Les futurs dirigeants de l’Inde avaient, quelques mois avant l’indépendance, défini le programme stratégique du pays : ‘“ l’objectif le plus intime ’ ‘[de l’Inde]’ ‘ est d’être acceptée comme la puissance dominante sinon de toute l’Asie, du moins de l’Asie méridionale ”’ 1069. Prenant note d’une localisation héritée au sein de l’empire britannique autant que du poids du pays, même amputé du Pakistan, l’affirmation n’a rien perdu de sa validité pour définir la place de l’Inde, cinquante ans après son accession à l’indépendance.
Il en résulte une certaine vision - biaisée - du rôle de l’Inde dans son sous-continent, la doxa indienne voulant que : ‘“ Vivant porte à porte avec le géant indien, les élites dirigeantes des pays voisins, qui ne sont en aucune façon des pays stables, redoutent notre impact sur leur stabilité relative. En Inde [...] nous avons un équilibre fondamental de notre régime politique ”’ 1070. Seule l’Inde serait stable dans une région instable, qui est le théâtre “ naturel ” de la politique indienne, et pour reprendre la terminologie de l’Arthashastra, forme le premier cercle, que les stratèges indiens identifient comme le “ périmètre de sécurité ” de l’Inde1071. Paradoxalement, les faiblesses de cohésion que laisse apparaître de façon récurrente l’Union Indienne (tentatives de sécession au Pendjab, en Assam, au Cachemire pour ne citer que les signes les plus marquants) sont parfois présentées comme un atout dans les relations du pays avec ses voisins. Ces affirmations sont surtout à usage externe et ne sauraient masquer la crainte, également partagée par les différents partis politiques, de l’éclatement, choix dont on pourrait trouver une clé dans la naissance du Bangladesh, comme contre-exemple d’une bonne gestion du territoire et d’une prise en compte des aspirations régionales1072
plaisanterie Indienne, En Référence À Blanche Neige Et Les Sept Nains, Pour Caractériser Le Poids De L’inde Par Rapport Àcelui De Ses Voisins D’asie Du Sud.
“ It is most unfortunate for writers on “ indian ” affairs that (for political reasons) the obvious tern “ Hindustan ” was not adopted for the Indian Union ”, O.H.K. Spate, “ The Partition of India and the Prospects of Pakistan ”, Geographical Review, oct 1948, pp. 5-29, p. 9.
“ The use of the term sub-continent is a misnomer and a legacy of the British rule; this term has never been used for vaster and more diverse geographical units like China and the Soviet Union ”, R.L. Singh, India a regional geography, New Delhi, UBSPD, 1989, p. 1.
“ a well-defined geographical and geopolitical unity ”, ibid., p. 1.
La Birmanie ne faisait plus partie du "sub-continent" à la fin des années 1930, après la promulgation du “ Government of Burma Act ”, qui la détachait de l'administration des Indes. L'inscription de la Birmanie est très fluctuante, soit marche orientale de l'Asie du sud, soit partie intégrante de l'Asie du sud-est. L’évocation de son intégration à l’Asie du sud est souvent un argument de blocage, avancé par le Bagladesh (voire le Pakistan) quand l’Inde évoque l’intégration possible de l’Afghanistan à la South Asian Association for Regional Co-operation (SAARC).
Rapport du Commonwealth Relations Office, février 1948, Public Record Office, London, F5793/76/85/G.
N. Mitra, cité par Jean Alphonse Bernard & Michel Pochoy, op. cit., p. 18.
Ibid., p. 159. De cette hégémonie "naturelle" découle la nécessité d'écarter d'Asie du sud toute puissance extérieure à la région.
“ The example of East Pakistan (now Bangladesh) must always be kept in mind by administrators who deal with insurgency ”, K. F. Rustamji, “ India’s Borders : Management Issues and Planning ”, op. cit., p. 3.