L'existence d’une communauté népalaise en Inde remonte à la guerre anglo-népalaise de 1814 et à sa conclusion par le traité de Seghauli de 1816 : en mettant fin à la guerre, le traité cédait aux Britanniques de vastes portions de territoires conquis moins d’un demi-siècle auparavant par la dynastie Gurkha. Les terres entre Tista et Mechi appartenaient avant la conquête au Sikkim, mais étaient peuplées de populations d'origine népali. Elles furent à la suite du traité cédées à l'Inde, provoquant ce qui est aujourd'hui analysé comme un traumatisme, d'autant plus difficilement gérable que les liens avec le Népal furent préservés à l'indépendance, voire même accrus. L'Inde et le Népal ont institutionnalisé ses liens au travers du traité de paix et d'amitié de 1950 : poursuite du recrutement de soldats gurkha par l'armée indienne et politique de frontière ouverte favorisant les flux de biens et de personnes. Les mouvements de migration, en direction notamment du nord-est indien, contribuent à préserver l'identité des communautés dans leur environnement indien, mais aussi à exacerber leur différence. Le traité de 1950, n'introduisant pas de différenciation entre indiens népali et népalais de migration récente, fut à la base du mouvement séparatiste gurkha quand il apparut en 1950 à Darjeeling.
La communauté népali de l'Inde connaît une longue tradition de revendication identitaire : sans doute à la suite de la division (avortée) du Bengale, la communauté népali de Darjeeling demanda la création d'une unité administrative séparée du Bengale pour le district, dans un mémorandum adressé au gouvernement britannique de l'Inde en 1907. En 1943, la All India Gurkha League est créée à Darjeeling et devint l'unique porte-parole du mouvement gurkha. A la veille de l'indépendance, le mouvement fut tenté, sous l'impulsion de Thakur Chandan Singh, de Dehradun, de demander une représentation gurkha aux Conférences de Table Rond, plus pour se démarquer des extrémismes hindous et musulmans que pour réclamer la création d'un Gorkhastan. La configuration envisagée à l'époque, et que tentèrent de réaliser les dirigeants de la ligue par un intense travail de terrain à travers le Nord-Est, était la réunion de tous les territoires à peuplement de parler népali substantiel, soit la fusion de Darjeeling et des douars de Jalpaiguri avec l'Assam; un mémorandum fut envoyé au Cabinet Mission1133.
La quête d'une identité indienne institutionnalisée par la création d'un Etat distinct au sein de l'Union Indienne resurgit dès l'indépendance avec la présentation d'un nouveau mémorandum au Premier Ministre; opération réitérée lors de la visite de Jawaharlal Nehru à Darjeeling en 1952. Plus tard, un mémorandum lui fut soumis, qui proposait trois alternatives quant au devenir de la zone de parler népali :
l'organiser comme zone sous contrôle direct du Centre;
la considérer comme une partie de l'Assam;
ou la constituer en Etat distinct.
Le gouvernement central, refusa les propositions, déclarant le 7/7/1952 par la voix de Nehru que : ‘“ Le Gouvernement de l’Inde considère cette demande d’un Uttarkhand dans le Nord-Bengale comme ... nuisible aux intérêts nationaux. Le Gouvernement de l’Inde est déterminé à ne donner aucune suite à tout manifestation pour la formation d’une telle province et ne laissera pas la solidarité du pays remise en cause par de telles avancées malsaines”’ 1134.
La revendication d'un Etat séparé du Bengale s'estompa rapidement, mais celle de l'inscription du népali sur la liste de la liste VIII de la Constitution devint la revendication majeure des communautés gurkha, comme le symbole de leur identité indienne1135.
Une démarche est tentée en 1956 par Anand Singh Thapa (éditeur du Jagrat Gorkha de Dehra Dun) auprès du président de l'Inde, Rajendra Prasad, pour qu'il intervienne auprès de la Commission des Langues Officielles (Official Languages Commission). Le président de cette dernière aurait affirmé alors que le népali ne pouvait être reconnu comme une des langues officielles puisqu'elle était la langue officielle d'un Etat indépendant : le Népal1136. Une nouvelle tentative prend place en 1971, après que la communauté népali soit parvenue à obtenir le soutien de 74 députés et ait fait passé une résolution devant le parlement. En 1972 est créé le Bhasa Samiti à Darjeeling, disposant d'une représentation dans tous les Etats de l'Inde avec une population népali significative. Deux gouvernements et assemblées - Bengale occidental et Tripura - vont soutenir la demande et présenter une loi devant le Parlement, mais sans succès. Indira Ghandi repoussa la demande en 1972, liant la reconnaissance de la langue à des “ questions de sécurité ”. De même, le PM Morarjee Desaï fit 1979 une réponse identique, en affirmant abruptement “ langue étrangère ”.
En 1980 Indira Gandhi accepta en principe la requête, mais les deux lois privées qu'elle fit passer devant le Parlement furent bloquées par le Gouvernement; le Ministre de l'Intérieur la persuadant ensuite de les retirer. Sans doute cet échec pesa t-il beaucoup dans la radicalisation du mouvement revendicatif la même année et son orientation vers le séparatisme, de même que la comparaison avec d'autres mouvements similaires dont les revendications furent accordées en 1963 et 1972 : les Naga, Meithei, Lushai, Miri, Gar et Kashi ont obtenu leur propre Etat Nagaland, Manipur, Mizoram, Arunachal Pradesh et Meghalaya, après que les tendances extrémistes et séparatistes aient incité le gouvernement à prendre conscience de leur localisation stratégique et à accéder à leurs demandes.
Krishna P. Khanal, "The Gorkha separatism : Implications for Nepal-India relations", Strategic Studies Series, n°8-10, summer-winter 1986, p42.
“ The government of India consider their move of Uttarkhand in North-Bengal as ... harmful to national interests. The Governmment of India is determined not to give any quarter to any agitation for the formation of any such province and will not allow the solidarity of the country to be disrupted by such mischievous moves ”, Jawaharlal Nehru's Speeches, Vol. II (1949-58), New Delhi, Government of India, reprint 1967, p.38.
Ibid., p. 43.
The Constitutional Recognition of Nepali - A long cherished aspiration of the indian Nepali's, Darjeeling, All india Nepali Bhasa Samiti, Sept. 1981.