c) Développement Des Revendications

L'extrémisme gurkha s'est développé, notamment au travers de la montée en puissance des factions extrémistes au sein de la Gurkha League, comme le Tarun Gorkha ou le Prantiya Morcha. En même temps, l'agitation en Assam, et son mot d'ordre d'expulser tous les étrangers - y compris les népali -, donna une impulsion immédiate à la création du Gorkha National Liberation Front en avril 1980. Son président Subash Ghising, ancien caporal du régiment de gurkha de l'Inde, a admis que la création du mouvement était devenue indispensable dès lors que nul autre forum n'était possible (perte de l'Assam), et que le mouvement avait comme objectif de ‘“ libérer les personnes parlant népali en Inde des atrocités et du génocide menés contre elles et de leur apporter leur propre pays, le Gorkhaland, dans le cadre de la constitution indienne. Il s’est donné la tache de libérer les terres gardées de force par le Bengale et d’y établir Gorkhaland”’ 1137. La radicalisation du mouvement peut être attribuée entre autres à la dégradation des conditions sociales des populations de parler népali dans la région de Darjeeling :

La seconde raison tient sans doute à la politique anglaise menée dans les périphéries, d’accroître l'indépendance des groupes ethniques en poussant au renforcement de leur identité culturelle et la préservation de leurs traditions, notamment juridiques. Pour les népali, l'émigration vers Darjeeling fut même encouragée.

Le mouvement pour un Gorkhaland ne peut être isolé du contexte général qui prévalait alors dans le nord-est indien, surtout en Assam et au Meghalaya où se développait une agitation "anti-étrangers"; entretenue par l'arrivée massive de migrants. Dans les années 1920, la Ligue Musulmane avait encouragée la migration massive de bengali musulmans vers l'Assam, dans une stratégie de conversion de la province en région à majorité musulmane1140; déclenchant chez les habitants une crainte de spoliation de "leur sol", pour la préservation duquel ils revendiquent indépendance ou autonomie. Lors des troubles en Assam, les népali furent les plus durement affectés après les bengali, impulsant une nouvelle donne régionale :

Les objectifs initiaux du GNLF ne paraissent pas clairs, d'autant plus qu'ils contenaient des éléments d'irrédentisme et de sécessionnisme. La représentation territorialisée allait bien au-delà des frontières indiennes; le projet envisageait une conférence tripartite, (Népal-Inde-Royaume-Uni) puisque le problème découlait du traité de Seghauli où furent cédés des territoires népalais, aujourd'hui revendiqués pour la création du Gorkhaland1144. Si son discours officiel demandait la création d'un Etat à part entière au sein de l'Union Indienne en accord avec l'article 3a de la Constitution, le fondateur du GNLF envisageait en privé deux options : la réunion de Darjeeling au Népal ou un "Gorkhaland souverain". Avant l'indépendance, la Ligue Gurkha, créée en 1943, soutenait la dynastie Rana et oeuvra pour le rattachement de Darjeeling au Népal après le retrait des Britanniques. Son Secrétaire Général fondateur retourna au Népal avec la révolution de 1950-51 et rejoignit un parti d'inspiration Rana - le Gorkha Parishad - avant de devenir Ministre des Affaires Etrangères, jetant le doute sur la loyauté du Népal vis à vis de l'Inde.

Les premières actions du GNLF furent un appel au boycott des élections, mais son impact demeurait faible au sein de la population sauf dans certains milieux de soldats à la retraite ou dans le monde rural. Mais après les émeutes du Meghalaya en 1986, les expulsions consécutives de népali accrurent sa clientèle de la majorité des népali des collines de Darjeeling et des douars. Les différents mouvements étaient dépassés et même la Gorkha League n'eut d'autre solution que de rejoindre le mouvement. Le Nepali Bhasha Samitri, association ayant d'abord comme objectif de promouvoir la langue népali, adopte à l'unanimité en décembre 1980 une résolution considérant la demande d’un Gorkhaland comme "légitime et démocratique"1145. En moins d'un an, le GNLF était devenu le porte-parole principal des népali de l'Inde. Les limites du Gorkhaland rêvé par Ghising englobent le district actuel de Darjeeling et la section des douars de Jaipalguri avec une population d'environ 1,4 million de personnes1146. Il aurait 4 districts dirigés par 4 MP et une Assemblée d'Etat de 60-65 membres. Bien que les perspectives économiques de cet Etat ne paraissent pas encourageante, les promoteurs du Gorkhaland affirmèrent que l'Etat ne manquerait pas de ressources, se référant à l'exemple du Sikkim qui, très arriéré à l'indépendance, est désormais économiquement en avance sur Darjeeling.

Les réactions tant au niveau de l'Etat qu'à celui de l'Union seront violentes et nombreuses, preuve sans doute de sa reconnaissance au moins comme force politique1147. Toutefois les réactions des deux instances ont divergé : le Centre rejetait la responsabilité de la gestion du problème sur le gouvernement - PCI-M - de l'Etat qui continuait à considérer les revendications du GNLF comme "anti-national" et "sécessionniste" et refusait d'engager un dialogue que le Centre maintenait par ailleurs avec le GNLF. Toutefois le gouvernement de l'Etat a reconnu que les habitants des collines avaient quelques griefs qui pourraient être amendés par l'octroi d'une autonomie régionale aux collines de Darjeeling, telle qu'envisagée dans l'article 244 de la Constitution1148. En mars 1986 le député (CPI) de Darjeeling déposa une loi amendant la Constitution devant la Lok Sabha. Le ministre de l'intérieur S.B. Chavan rappela que le développement des régions arriérées dans le Bengale occidental relevait en premier lieu de la responsabilité de l'Etat. Il bloqua la proposition d'amendement en affirmant que le développement culturel des populations de langue népali n'était en aucun cas bloqué par le statut constitutionnel actuel de la langue et qu'il n'y avait donc pas lieu d'inclure le népali dans la huitième annexe, tandis que Rajiv Gandhi montrait quelque réserve à le faire, rendant le gouvernement de l'Etat responsable du maintien de l'ordre (law and order). Malgré le rejet des propositions, le gouvernement central maintient ouvertes les négociations avec le GNLF, tandis que Subash Ghising regrettait publiquement le doute ou l'incompréhension soulevés par le mémorandum qu'il avait envoyé à l'ONU et à divers gouvernements occidentaux et exprimait sa “ totale loyauté envers l'Inde ”1149. Les négociations s'amorcèrent au début de 1987 avec le ministre de l’intérieur de l’Union, Buta Singh, sans déboucher. L'échec subi par le parti du Congrès lors des élections du printemps de la même année a sans doute contribué à amorcer une série de négociations “ sérieuses ” introduites par une intervention de Rajiv Gandhi le 22/7/1987. Les discussions, réunissant les ministres de l'intérieur de l'Etat et de l'Union et une délégation du GNLF dirigée par son fondateur, portèrent sur la recevabilité des quatre points de revendication du GNLF :

Les discussions de juillet ont apporté une certaine décrispation de la situation : le gouvernement de l'Etat retira le décret relatif au contre-terrorisme (Anti-Terrorism Act); le GNLF suspendit son agitation.

Toutefois la proposition commune Centre-Etat sera bien en deçà des revendications formulées puisque portant sur la création d'un Conseil de Développement lors d'une conférence plénières à Calcutta le 18 septembre, sans participation du GNLF. Le Conseil de Développement des Collines regrouperait les trois divisions de Darjeeling, Kalimpong et Kurseong, se composerait de 42 membres, dont 28 seraient nommés et les autres élus. Le Conseil recevrait des subventions pour le lancement de projets de développement et prévoirait ‘"the involvment of popular representatives in the making of decisions on economic and other matters relating to the Darjeeling hills"’ 1150; les détails d'ordre techniques (pouvoirs et fonctions des représentants, ainsi que la législation nécessaire) devant être discutés au cours de réunions tripartites entre des représentants du Centre, de l'Etat et du GNLF. Ce dernier proposa un amendement en 12 points du projet, dont l'inclusion de Siliguri et des douars dans le nouveau Conseil; le changement de son appellation en Conseil Gurkha "afin de fournir un grand sens de citoyenneté indienne aux gurkha vivant en Inde".

Notes
1137.

“ liberate the Nepali speaking people of India from atrocities and genocide committed against them and provide them their own homeland, Gorkhaland, within the constitution framework of India. It is committed to liberating the land "forcibly" kept within Bengal, and to establishing Gorkhaland on their own ”, rapporté par Krishna P. Khanal, op.cit., p.47.

1138.

Sunday, 31/8/1986.

1139.

Slogan très courant lors des réunions du GNLF, rapporté par Krishna P. Khanal, op. cit., p.51.

1140.

Federal Moon (Ed.), Wavell : The Viceroy's Journal, London, OUP, 1973, p.41.

1141.

Hindu, 31/4/1987.

1142.

Même les népali recrutés comme gurkha dans l'armée indienne sont enregistrés comme "domicile nepali" plutôt que indiens.

1143.

En violation de l'article 7 du traité indo-népalais de 1950, qui autorise les personnes des deux Etats à s'installer n'importe où dans le pays, pour une période illimitée.

1144.

Subash Singh fit même parvenir un mémorandum - le 23/12/1986 - au roi du Népal.

1145.

Hindu, 1/1/1987.

1146.

Ce chiffre de population est inexplicablement supérieur à celui des populations agglomérées des 7 soeurs au recensement de 1981!

1147.

Lors d'une visite à Darjeeling, Raiv Gandhi eut sans doute le plus petit public qu'un PM indien ait eu, limité aux membres de sa sécurité personnelle après le boycott de la réunion, organisé par le GNLF.

1148.

La cinquième annexe de la Constitution régie par l'article 244 offre la possibilité de créer un conseil autonome pour une région tribale à l'intérieur d'un Etat.

1149.

Frontline, 10-23/1/1987.

1150.

Hindu, 5/9/1987.