Les revendications du GNLF pour la création d'un Etat de Gorkhaland à Darjeeling eurent de fortes répercussions sur les relations indo-népalaises, d'abord parce que les premières revendications portaient sur la validité du traité de Segauli, c’est-à-dire les limites actuelles du Népal, même si, rappelons-le, Subash Ghising tempéra ces revendications en réaffirmant la loyauté du mouvement à l'égard de l'Union Indienne1151. Il n'en chercha pas moins à internationaliser le problème, comme il l'affirma en 1986 : ‘“ Le problème du Gorkhaland est le résultat du traité inégal signé entre le Népal et l’Inde en 1950. Le Népal ne peut donc resté neutre ou distant sous le prétexte que c’est un problème interne à l’Inde”’ 1152. Si le discours officiel népalais consista à considérer l'affaire comme purement interne à l'Inde, les milieux proches du pouvoir ne cachèrent pas leur sympathie pour le mouvement et n'hésitèrent pas à lui apporter un soutien plus ou moins ouvert1153. Le Népal servit aussi de base de repli au GNLF, ce qui incita le gouvernement du Bengale Occidental à organiser une action policière dans la ville frontière népalaise de Manebhanjyang le 14/12/1987 contre les militants.
L'action, condamnée par le gouvernement népalais comme ‘“ a flagrant encroachment on the independence of Nepal ”’ permit à l'Etat de réaffirmer son indépendance et de marquer plus encore sa distance à l'Inde; d'amorcer la distanciation qui lui permit de renégocier en 1989 les traités de commerce et de transit1154.
Pour l'Inde, la revendication d'un Gorkhaland fut perçue comme le fruit d'une “ destablization conspiracy ” ourdie par des puissances étrangères dans le Nord-Est venant s'ajouter au jeu de conspiration que joua Hope Cook au Sikkim1155. Le Parti Communiste (CPI-M), au pouvoir au Bengale occidental, développa la théorie d’une “ Imperialist Conspiracy ” dont le GNLF ne serait qu'une composante dans un dispositif plus vaste dont les plans auraient été jetés en 1979, sous le nom de “ Operation Brahmaputra ”, et qui viserait à affaiblir les Etats du nord-est indien par l'exacerbation des revendications sur la base de différenciations ethniques, religieuses économiques, linguistiques et culturelles, pour en permettre la sécession de l’Union indienne1156.
Le Gorkhaland fut accordé selon un mode mineur par le gouvernement indien, qui accepta la création d’un Gorkha Darjeeling Council (ou Darjeeling Hill Council) qui reconnaît la spécificité de l’identité territorialisée Gurkha en octroyant aux populations concernées une autonomie de gestion, dont le contrôle relève du pouvoir du gouverneur du Bengale Occidental et non pas de celui du gouvernement de l’Etat. Mais la lutte pour la création d’un territoire népali autonome a ravivé les craintes des autorités bouthanaises qu’un processus similaire n’émerge dans le pays, qui pourrait connaître à court terme le sort du Sikkim, en raison de la présence d’une communauté népali forte sur son territoire : ‘“ Vers 1985, nous avons vu que notre population originelle serait minoritaire avant l’an 2000 ”’ 1157.
La population népali, qui habite essentiellement dans les basses terres collinéennes du sud du pays, constitue entre 30% et 35% de la population totale1158 et son implantation est aussi ancienne qu’au Sikkim puisqu’au siècle dernier les autorités bhoutanaises recrutaient déjà une main d’oeuvre népali pour mettre en valeurs les terres planes du sud1159. Une première loi sur la citoyenneté, promulguée en 1958, accorda la nationalité aux Népali justifiant d’un reçu d’acquittement de la taxe foncière. Tandis que le recours à une main d‘oeuvre extérieure est arrêté, un réel effort est fait pour intégrer ces nouveaux citoyens, passant par le développement d’infrastructures routières, la multiplication de services sanitaires et éducatifs (le népali est enseigné en même temps que le dzongkha) et l’ouverture de l’administration civile aux Népali, qui représentent _ des effectifs1160.
Mais la mise en valeur du pays à partir du premier plan quinquennal (1960-1965) se fit, pour des raisons de coût, par un appel à la main d’oeuvre étrangère sous contrat, qui se sédentarisa dans le sud1161. De nouvelles lois sur la citoyenneté, plus radicales, furent promulguées en 1977 puis en 1985, pour freiner l’immigration clandestine1162, tandis que l’enseignement du népali est suspendu dans les écoles1163. Mais le renforcement des mesures touchant à la nationalité et au mariage tient aussi à la crainte du gouvernement que la “ népalisation ” croissante de l’administration1164 ne remette en cause le fonctionnement actuel de l’Etat.
Le durcissement de la législation sur la nationalité fit naître un fort ressentiment au sein de la population népali, d’autant que l’Assemblée Nationale adopta le 21 novembre 1988 une résolution déchoyant automatiquement de sa nationalité tout bhoutanais quittant le pays pour résider à l’étranger et des tracts incendiaires se mirent à circuler, notamment celui de Ratan Gazmere, incitant à la rébellion : ‘“ L’heure de l’affrontement a sonnée. Le temps est venu pour nous de demander notre liberté. Une poignée de Drukpas dirigent le Bhoutan d’une façon brutale et peu civilisée. Le Chhogyal Raja du Sikkim dirigea son Etat de façon similaire mais cela conduisit le pays à devenir un Etat indien. A présent les dirigeants Drukpas suivent la voie du Chhogyal”’ 1165. La tension entre la communauté népali, enrichie des népalis fuyant l’Assam voisin1166, et le pouvoir politique s’est transformée à partir du 191/9/1990 en affrontements violents, suivis de répressions policières et d’expulsions brutales1167, entraînant un exode massif de népali vers le Népal à partir de février 19911168, où ils sont hébergés dans les districts orientaux du pays, avec l’accord du gouvernement népalais.
Le mémorandum fut aussi envoyé au roi du Népal le 23 décembre 1983, puis à d'autres gouvernements, y-compris le Royaume-Uni, la Chine et le Pakistan, afin d'obtenir leur soutien devant l'ONU.
“ The Gorkhaland problem is the result of the unequal treaty signed between Nepal and India in 1950. Nepal cannot therefore stay neutral or quiet on the issue on the plea that it is an internal affair of India ”, Deshanter, 27/7/1986, cité dans Krishna P. Khanal, op.cit., p.61.
Plusieurs membre du Rastriya Panchayat ont apporté un soutien public au mouvement; un faction du Parti Communiste du Népal, alors dissoud, a même soutenu les propositions du GNLF.
Les Indiens implantés au Népal auraient oeuvré pour que le gouvernement indien accède aux exigences du GNLF afin de pouvoir formuler des revendications similaires auprès du gouvernement népalais, Times of India, 21/11/1986.
Times of India, 3/8/1986. Rappelons que Hope Cook, alors jeune américazine de 22 ans, épousa en 1963 Palden Thondup Namgyal, dernier roi du Sikkim. Par ce mariage, le roi avait escompté - en invitant de nombreux représentants étrangers - une reconnaissance internationale de son pays.
Amrit Bazar Patrika, 16/8/1986. Les gouvernements chinois et américain auraient, selon le CPI-M, préférés l'existence d'un Etat indépendant dans le nord-est indien, de même que le Népal.
Sonam Rabgye, ambassadeur du Bhoutan à New-Delhi, Le Monde, 25/5/1993.
Pendant des années, l’office statistique du Bhoutan a chiffré la population totale à 1,2 millions de personnes, mais depuis le recensement de 1988, elle ne serait plus que de 635 000 habitants, soit une population d’origine népali dont le nombre varie entre 100 000 et 400 000 personnes. Le CIA world facbook de 1996 estime la population népali entre 50% et 55% du total.
Ces migrants n’avaient d’ailleurs pas le droit de s’implanter dans “ le Nord ”, dans les vallées du Bhoutan central.
Même les exilés actuels reconnaissent que “ for many years the northern Bhutanese made Herculean efforts to integrate southerners ”, Asianweek, 13/12/1996.
Profitant, affirme le gouvernement, de la complaisance de fonctionnaires locaux.
La loi de 1977 demande une preuve de présence de 15 ans pour les fonctionnaires et de 20 ans pour les personnes privées. Dans le cas de mariages mixtes (récompensés dans les années 1950!), si un enfant est né d’un père bhoutanais, il acquiert automatiquement la nationalité bhoutanaise, masi s’il est né d’une mère bhoutanaise, il ne peut l’acquérir et dispose d’une statut spécial de résident.
L’obtention de la nationalité bhoutanaise passe aussi par un examen écrit et oral en dzongkha.
Dans la fonction civile, 3398 des 8500 fonctionnaires sont des “ southerners ”, des népalis, FEER, 20/12/90.
“ The hour has struck for the historic conflict. Now has come the time fot us to demand our freedom. A handful of Drukpas are ruling Bhutan in a very brutal and uncivilized way. Once Chhogyal Raja of Sikkim ruled his country in a similar way but that led the country to become an Indian state. At present the Drukpas rulers are marching the Chhogyal way ”, Asiaweek, 13/12/1996.
La frontière sud du Bhoutan est contigüe à la région d’Assam, peuplée de Bodos qui y mènent une chasse à l’étranger, Bangladeshi ayant immigré récemment ou népalis descendants des Gurkhas à qui le gouvernement britannique avait octroyé des terres à leur retraite de l’armée. Ni l’armée (5000 hommes) ni la police (1100 hommes) n’ont les moyens matériels de surveiller la frontière sud; quand aux “ techniciens ” indiens stationnés au Bhoutan, ils surveillent plutôt la frontière nord.
Les associations de réfugiers népali et les autorités bhoutanaises se renvoient dos à dos : il semblerait que les deux aient leur part de responsabilité dans le conflit, au regard de l’attitude assez ambigüe qu’adoptent autant les journalistes étrangers que le HCR. Un point est certain, celui de la destruction de toutes constructions à proximité de la frontière (dans le district de Samchi, proche du territoire du Darjeeling Hill Council) par l’armée, afin de créer un cordon de sécurité pour mieux contrôler les déplacements, Time of India, 29/10/1990.
5 000 en septembre 1991, 50 000 en juillet 1992 et 90 000 à l’été 1996.