Conclusion De La Troisième Partie
un Bilan Provisoire

Au Tibet comme au Ladakh, les populations “ des plaines ” ont développé un sentiment d’extranéité face aux sociétés d’altitude, non dépourvu d’un certain racisme : outre une assez forte incompréhension vis-à-vis de sociétés si différentes, toute nomination administrative sur ces territoires y est ressentie comme une punition des deux côtés de la frontière. Il y a volonté d’intégrer le territoire, mais pas ses populations.

Le développement limité - voire localement refusé - dans un cas, mais au contraire le développement imposé dans l’autre, est symptomatique de deux contextes différents qui en première lecture ont moins à voir avec les frontières qu’avec les fonctions attribuées aux territoires par les gouvernements centraux. Dans le cas du Tibet, et au regard des pratiques observables, plus que des discours, il est clair que ce qui intéresse avant tout le gouvernement chinois est le vide démographique que constitue le Tibet. Il est tout aussi évident que les périphéries himalayennes de l’Inde ne pourraient prétendre à une telle fonction et apparaissent plus comme une arrière-cour que des territoires d’avenir. Sans doute peut-on envisager pour ceux-ci “ où pas un brin d’herbe ne pousse ” - et dans l’hypothèse d’une normalisation aux frontières -, une réduction des espaces à des “ corridors économiques ”1185 le long des axes transhimalayens que gouvernements indien et chinois semblent souhaiter réactiver.

Jusqu’aux réformes économiques de 1991 en Inde et la relance de l’économie de marché en Chine à partir de 1992, aucun des deux pays n’avaient les moyens financiers du développement de ses périphéries, qui passait implicitement par les canaux anormaux que sont l’action milita011ire et aussi, pour les Etats du sud, l’action des ONG. Une question se pose désormais, celle de savoir dans quelle mesure les développements amorcés récemment dans ces territoires peuvent être considérés comme durables. Paradoxalement, cette question se pose aussi pour les périphéries externes de l’interaction sino-indienne, pour ces Etats que les Britanniques voulurent comme des Etats-tampons, et que l’Inde indépendante utilisa comme tels, même si à aucune de ces deux époques ils ne remplirent ce rôle de heurtoir.

Notes
1185.

C. D. Deshpande, India, a Regional Interpretation, New Delhi, Northern Book Center, 1992, p. 283.