L'examen des modifications apportées au système de stokoe peut nous éclairer à la fois sur ses faiblesses mais aussi sur les attentes des différents chercheurs en langue des signes. Les différentes révisions ou reformulations (Friedman 1976 ou mandel 1981) du système de Stokoe n'ont toujours pas donné lieu à une version finale acceptée par la communauté des chercheurs en langue des signes.
Ce que l'on constate de la part d'une majorité d'entre eux, c'est leur volonté d'évoluer vers un système plus riche, plus phonétique qu'il ne l'était déjà. Indépendamment de la représentation de l'orientation de la paume et des doigts très vite introduite dans le système de Stokoe, on constate très rapidement la nécessité de multiplier les configurations manuelles qui n'étaient attestées que pour l'ASL42. Par ailleurs, l'utilisation de symboles liés à l'alphabet dactylologique américain pour décrire les configurations manuelles des autres langues s'est avérée impropre.
Force est de constater que l'on attend des modifications du système initial de Stokoe, une utilisation plus générale permettant la description d'autres langues signées dans leur spécificité. Il semble donc que ce système de représentation originellement phonologique ait été progressivement transformé en un système de description phonétique. Le système de Stokoe doit-il être l'API43 des langues signées ?
Plutôt que de déformer à l'excès un système, n'existe t-il pas d'autres possibilités ? Dans un article sur la prolifération des systèmes de notation pour la caractérisation des signes, miller propose un aperçu des différents modèles se détachant d'une filiation directe à celui de Stokoe.
De manière assez générale, deux courants semblent caractériser les divers systèmes. D'une part les systèmes qui tentent d'utiliser un symbolisme existant et d'autre part ceux qui en inventent un propre. Nous commenterons plus particulièrement le système HamNoSys.
notation Papaspyrou (1990) : système basé sur des symboles alphabétiques différents de ceux de Stokoe car ils ne se veulent pas mnémotechniques ;
notation Jouison (1990) : la finalité de ce système est de représenter tous les comportements de communication d'un locuteur de langue des signes. A cet effet, le mime tout autant que la production des signes, doivent pouvoir être caractérisés. En dehors de la configuration manuelle, les symboles utilisés sont inventés et n'ont aucune vocation mnémotechnique ;
notation Laban (1956) et Benesh (1969) : ce système de transcription est originellement produit pour consigner les mouvements d'un danseur plutôt que ceux d'un locuteur de langue signée. Toutefois, une adaptation pour la transcription des signes indiens de l'ethnie Nakota/Assiniboine a été réalisée par Farnell (1990). Le symbolisme utilisé est inventé et n'a aucun lien direct avec un quelconque autre système ;
notation Liddell et Johnson (1989) : ce système est assez différent des précédents car il isole dans une cellule chaque constituant du signe proposé sous la forme d'une grille. Entre autres, il préfère les abréviations à l'emploi d'un symbole unique pour représenter les différents aspects du signe ; il réserve une place privilégiée à la caractérisation de la segmentation prosodique du signe ; la notation des configurations manuelles fait davantage état des constituants permettant sa formation ;
Signfont de Newkirk (1987) et Hutchins (1990) : si le système précédent s'inscrit plus dans un registre de représentation phonologique, celui-ci est visiblement une tentative d'écriture de la langue des signes. Newkirk propose un système graphèmatique composé de symboles inventés pour fournir aux langues signées leur propre système d'écriture45 ;
SignWriting de Sutton (1973, 1981) : ce système de transcription permet plusieurs niveaux de représentation allant de la description phonétique à l'écriture sténographique du signe. SignWriting est proposé sous la forme d'une application informatisée mais le mode de caractérisation des signes qui regroupe l'information en un seul champ lui retire toute la convivialité que procure une base de données quant à la formulation des critères de recherche.
Pour synthétiser les divers courants et filiations des divers systèmes de notation que nous avons rapidement évoqués nous reprenons un arbre proposé par Miller (1994).
Si l'on examine transversalement les critiques et les remarques formulées à l'égard de ces systèmes de notation, qu'ils constituent une tentative d'écriture ou bien qu'ils soient phonologiques ou phonétiques, on peut extraire plusieurs tendances.
Tout d'abord, la grande majorité, voire la totalité représente un signe par le biais d'un système unilinéaire. Que l'on prenne la notation de Stokoe ou bien la HamNoSys, l'ordre de formulation des constituants du signe est obligatoire à la compréhension et n'est d'ailleurs pas le même dans les deux systèmes.
Cette caractéristique unilinéaire de tous les systèmes requiert de la part de leur concepteur une large part explicative sur les astuces internes au système de notation afin de représenter correctement les relations entre les constituants. En d'autres termes, l'explicitation de la notion de domaine d'application est intrinsèquement compliquée par l'unilinéarité.
La caractéristique multilinéaire d'un système de représentation phonologique semble donc être la principale condition de sa potentialité descriptive. Certes, l'usage de cette caractéristique peut très bien être imparfait mais en tout cas cette spécificité lui confère d'emblée une facilité dans la représentation des domaines d'applications relatifs aux divers constituants du signe.
Bien que cela n'émane pas directement de notre sujet d'étude, on retiendra ensuite les caractéristiques attendues pour un système de notation phonétique des langues signées. Pour la plupart d'entre eux, les critiques formulées conduisent à la nécessité de trouver une notation qui aurait les spécificités suivantes :
avoir la capacité de transcrire aussi bien des signes isolés que des phrases entières ;
séparer sur deux lignes la représentation des configurations manuelles de chaque main lorsque la production du signe en implique deux ;
contenir une représentation de l'expression faciale et de manière plus générale de tous les comportements dits non manuels ;
fournir une représentation des propriétés prosodiques du signe, et en particulier des modalités détaillées du mouvement ;
utiliser des symboles, qu'ils soient iconiques ou alphabétiques, aussi mnémotechniques que possible ;
offrir deux possibilités descriptives dont l'une serait interne et concernerait en somme le mode articulatoire et l'autre serait externe et appartiendrait davantage au mode de perception des signes.
A travers les différentes propositions de modifications de la notation originelle de Stokoe ou bien les diverses inventions de système d'écriture, de représentation phonétique ou phonologique des langues signées, on a pu remarquer, d'une part la complexité qui caractérise la représentation des signes, et d'autre part la tendance à mélanger dans un même système des informations relevant de plusieurs niveaux d'analyse.
Même pour l'ASL, les autres chercheurs proposeront une augmentation du nombre de configurations manuelles.
Alphabet Phonétique International
Une table des symboles utilisés pour la HamNoSys est présentée dans les annexes.
Il semble que la volonté de fournir un système d'écriture aux langues signées soit une préoccupation assez répandue dans les années 1990. Une langue à tradition "visuelle" comme la LSF nécessite-t-elle un système d'écriture ?