1.2.1 - La généralisation des ingénieurs civils à toutes les branches de l’industrie

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, le phénomène de l’industrialisation prend une nouvelle ampleur. L’essor du capitalisme va élargir la fonction de l’ingénieur en le plaçant au service de la production industrielle. La révolution sidérurgique et le développement de nouvelles forces motrices (machine à vapeur, énergie hydraulique), accentuent le rapprochement des sciences et techniques. De nouvelles écoles sont fondées sur la base des modèles existants (l’Ecole des arts industriels de Lille (1854), l’Ecole centrale de Lyon (1857)), mais en nombre limité.

Avec la seconde phase de la révolution industrielle (1880-1890), marquée par le développement de la force électrique, l’interpénétration entre la science et la technique est de plus en plus forte. La chimie est l’un des domaines où se développent rapidement les échanges entre les sciences, les techniques et l’industrie. Les besoins croissants vont se traduire par de nombreuses créations d’écoles spécialisées.

A la suite de l’exposition universelle de 1878, à Paris, le ministre du Commerce et de l’Agriculture sollicite un chimiste éminent pour faire le point sur la situation de l’industrie chimique et proposer des voies d’amélioration. Le rapport montre que l’industrie française accuse un retard par rapport à l’industrie des pays voisins, l’Angleterre et l’Allemagne. L’industrie ne dispose pas de personnels formés aux sciences et aux techniques, l’Ecole des arts et manufactures ne pouvant couvrir tous les besoins. L’auteur pose, en conclusion, ‘« une condition primordiale à l’amélioration de l’industrie française ; il faudrait, selon lui, modifier profondément l’appareil éducatif, notamment en institutionnalisant l’enseignement des sciences appliquées »’ 45 . Cette proposition sera étudiée de manière approfondie par un comité comprenant des scientifiques, des industriels et des hommes politiques. Les débats, qui se tiendront de 1879 à 1881, vont permettre de dégager les critères d’un tel enseignement :

Le premier a trait à la création d’une école dont le programme serait consacré aux techniques industrielles et privilégierait les enseignements de la science directement applicables à l’industrie. ‘« Il mettrait l’accent sur l’approche expérimentale des phénomènes, tout en permettant d’acquérir un raisonnement scientifique aigu. »’ 46

Le deuxième concerne le recrutement des élèves : ‘« il est impératif qu’ils aient une préformation, c’est-à-dire qu’ils soient déjà familiarisés avec les mathématiques, la physique et la chimie de base avant d’entrer à l’école »’ 47 . Le comité propose d’organiser la sélection par un concours.

Le troisième point porte sur l’association des industriels au projet de l’école. Ceux-ci feraient partie du conseil d’administration et de la commission pédagogique et, selon leurs compétences, pourraient assurer des cours. Par ailleurs, les professeurs pourraient être sollicités pour résoudre des problèmes techniques. Enfin, tout au long de leurs études dont la durée est fixée à trois ans, les élèves effectueront des stages dans l’industrie.

Ces propositions constituent le noyau du projet, qui sera accueilli favorablement par la ville de Paris et donnera naissance à l’Ecole de physique et chimie industrielles de Paris, en 1882.

Au delà de l’histoire singulière de cette école, ce projet a une portée plus générale. Il définit un modèle de formation des ingénieurs, dont les caractéristiques sont : sélection d’élèves disposant d’un bagage scientifique de base, formation orientée sur les aspects de la science qui débouchent sur des applications industrielles, importance donnée à des cours pratiques et relations étroites avec les industriels.

De nombreuses écoles seront ouvertes en s’appuyant sur les mêmes principes.

A la fin du XIXe siècle, l’ingénieur est devenu un personnage social reconnu. Son savoir technique lui confère prestige et pouvoir au sein des entreprises. La France compte, en 1896, une majorité de petites entreprises, mais les ingénieurs sont embauchés dans les secteurs de technicité importante (sidérurgie, électricité, chimie).48 Le développement de la science va donner un nouvel essor à ces industries productives.

‘« La profession de l’ingénieur moderne est due, dans une large mesure, directement au progrès scientifique. Les noms mêmes des différentes espèces d’ingénieurs qui existent aujourd’hui - ingénieur électricien, chimiste, radio - indiquent que c’étaient toutes, à l’origine, des branches de la science qui sont devenus, à présent, des branches de la pratique.»49

Notes
45.

SHINN (T.) : « Des sciences industrielles aux sciences fondamentales, la mutation de l’Ecole supérieure de physique et de chimie de Paris », Revue française de sociologie, 1981, n° XXII, p. 169.

46.

Ibidem, p. 169.

47.

Ibidem, p. 169.

48.

GRELON (A.) : L’éducation des cadres, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris, 1983, p. 140.

49.

BERNAL (J.D.) : Science in history, cité par MOSCOVICI (S.) : op. cit. p. 430.